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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1058

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sur la nature de ces pouvoirs réels ou prétendus, ni sur l’usage qu’il pourrait, le cas échéant, en faire. La classe aisée jeta les hauts cris. Ainsi les mulâtres s’obstinaient à ne jamais deviner que la moitié des intentions de Similien, et Similien en était pour sa mise en scène de magnanimité. Cette nouvelle preuve de « l’ingratitude » des mulâtres lui parut combler la mesure, et deux canons ; mèche allumée, ne permirent désormais l’accès du palais national qu’aux ennemis avérés de la classe de couleur, qui, de là, allaient porter de mystérieux mots d’ordre, les uns dans les quartiers pauvres de la ville, les autres au dehors. S’agissait-il de massacrer à un moment donné tous les mulâtres, de piller et d’incendier les magasins ? C’est le bruit qui tout à coup circula, et la simultanéité de cette panique dans tous les centres populeux de la presqu’île ne permet guère de douter qu’elle ne fût fondée. Les noirs de la campagne refusèrent heureusement de se ruer sur Port-au-Prince, ce qui devait être, dit-on, le signal des massacres, et les mesures prises, pour le cas d’une agression des troupes du palais, par les généraux Therlonge (mulâtre) et Paul Decayette (noir), l’un commandant de la subdivision, l’autre de la place, achevèrent d’imposer à Similien.

Le ministre des relations extérieures, M. Élie, était seul à Port-au-Prince. En apprenant ces événemens, sur lesquels il n’avait naturellement reçu que des rapports contradictoires, Soulouque détacha de son cortége le ministre de l’intérieur, M. David Troy (noir), qui, informations prises, signifia à Similien l’ordre d’aller rendre compte de sa conduite au président. Pour toute réponse, Similien interdit l’entrée du palais du gouvernement aux deux ministres, et écrivit au Cap que M. David Troy était l’agent d’une conspiration mulâtre ayant pour but un changement de présidence au profit du général Paul ou du général Souffrant. En effet, soit que ce fût une tactique de Similien, soit que la classe menacée eût eu réellement la velléité de se soustraire au danger permanent que faisait peser sur elle l’entourage de Soulouque, ces deux noms avaient été, au fort de la crise et on ne sait trop de quel côté, mis en avant. C’était là pour Soulouque le plus clair de l’affaire, et tranquille au sujet du général Paul, qui l’accompagnait, je l’ai dit, en qualité de ministre démissionnaire, il ordonna par exprès au général Souffrant, resté à la tête de la division de Port-au-Prince, de se rendre immédiatement sur la frontière dominicaine. Quant au reste, il ne parut pas d’abord y songer ; puis, à deux jours de distance, on put entendre Similien se vanter d’avoir reçu des dépêches qui approuvaient complètement son zèle, et les ministres se féliciter d’avoir reçu d’autres dépêches qui approuvaient complètement leur prudence. En attendant que le chef de l’état vînt donner lui-même le mot de l’énigme, une sorte de régularité avait fini par s’établir dans ce désordre.