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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/106

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Le bronze nous a rendu fidèlement le modèle qui a si souvent posé à son insu devant le statuaire ; car, le jour où M. David a été chargé d’exprimer, dans une œuvre durable, dans un monument offert à tous les yeux, la reconnaissance publique, il n’a pas été obligé de consulter les souvenirs d’autrui, il lui a suffi d’interroger ses propres souvenirs, et sans doute c’est à cette heureuse circonstance que nous devons attribuer la vie qui anime le regard et le sourire de Larrey dans la statue placée au Val-de-Grace. Chacun sait en effet que les meilleurs portraits sont ceux dont les modèles ont posé à leur insu, c’est-à-dire, avant de poser officiellement devant le peintre ou le statuaire, ont souvent passé devant ses yeux. Van-Dyck et Lawrence le savaient bien, et attendaient pour copier leurs modèles l’heure où ils les savaient par cœur au point de pouvoir détourner la tête.

M. David connaissait depuis long-temps la tête de Larrey, lorsqu’il a entrepris de la modeler. A-t-il profité librement de cette condition privilégiée ? Je ne le pense pas. M. David, comme chacun de nous a pu s’en convaincre en étudiant la nombreuse collection des médaillons signés de son nom, attache beaucoup trop d’importance à la phrénologie. Il ne s’agit pas ici d’estimer la valeur de cette doctrine dans le domaine de l’éducation et de la politique ; notre tâche, beaucoup plus modeste, n’embrasse que le domaine purement esthétique. Or, je me demande si la doctrine de Gall et de Spurzheim, appliquée à la statuaire, ne doit pas nécessairement exagérer l’importance géométrique de la tête et introduire ainsi dans la composition de toutes les figures un élément de trouble et de discorde. Est-il possible, en effet, de s’attacher à reproduire sur le crâne humain toutes les protubérances qui, d’après la doctrine de Gall, signalent les facultés, les penchans et les instincts de l’ame humaine, sans se trouver à son insu entraîné à méconnaître le volume normal de la tête ? C’est une question qui pourrait sembler difficile à résoudre, si l’on se bornait à l’envisager théoriquement ; mais, dès que l’on appelle en témoignage les ouvres accomplies sous l’empire de cette doctrine, on ne tarde pas à comprendre toute la légitimité de nos craintes. Déjà le Corneille de Rouen, le Guttemberg de Strasbourg, le Cuvier du Jardin-des-Plantes nous avaient révélé très clairement les conséquences désastreuses de la phrénologie dans le domaine de l’art ; la statue de Larrey est une preuve ajoutée à toutes celles que je viens d’énumérer. Si la phrénologie est appelée à rendre de véritables services, ce n’est certes pas dans les arts consacrés à l’expression de la beauté. Qu’elle puisse nous éclairer sur les instincts des animaux, c’est une vérité acquise depuis long-temps à la discussion ; qu’appliquée à l’étude des degrés supérieurs de l’échelle zoologique, elle puisse introduire dans la science un intérêt nouveau, un intérêt de l’ordre le plus élevé, c’est ce qui ne saurait être