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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1061

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autre circulaire défendait en termes non moins sévères, aux mêmes agens, de molester les bonnes gens qui voudraient s’amuser à danser l’arada, euphémisme officiel du vaudoux. En effet, la canaille vaudoux était dans l’intervalle complètement remontée en faveur au palais qu’elle fréquentait comme aux plus beaux jours de la dictature intérimaire de Similien. Un écrit manuscrit de M. David Troy, et dont on s’arrachait avidement les copies d’un bout à l’autre de la république, avait produit ce nouveau changement. Dans cet écrit, que son auteur avait eu la courageuse franchise d’avouer dès la première interpellation, bien que les simples détenteurs des copies qui en avaient été faites fussent l’objet de poursuites. M. David Troy développait et justifiait les mesures proposées par lui pour prévenir le retour des scènes d’épouvante provoquées par Similien. Il établissait la résistance désespérée du président à toute espèce de répression et la protection dont il avait couvert les auteurs de tant de scandales et d’inquiétudes. L’impossibilité du maintien du président ressortait clairement des révélations de M. Troy, d’ailleurs conçues dans des termes d’une parfaite convenance. Les mulâtres, particulièrement menacés par la nouvelle politique de Soulouque, et qui, en se voyant si bien soutenus par les noirs éclairés, étaient passés de l’effroi à la jactance, ne mettaient pas plus de façons que ceux-ci à exprimer ce que cet écrit donnait à penser, et, comme M. Troy n’avait pu se dispenser de citer textuellement certaines réponses du futur empereur, les lecteurs ne gardaient pas toujours leur sérieux. C’était attaquer Soulouque par ses deux côtés faibles : la préoccupation des complots mulâtres et la terreur des plaisanteries mulâtres. À ce double choc, tout ce que Similien avait accumulé de dangereux fermens dans cette pauvre machine fit explosion. La session était à peine ouverte (novembre 1847) que le président enjoignit au sénat de se constituer en haute-cour de justice pour décréter d’accusation et faire arrêter immédiatement le sénateur Courtois, coupable d’avoir excité les citoyens à s’armer les uns contre les autres, diffamé, calomnié, injurié une portion de ces mêmes citoyens. Les citoyens dont Soulouque épousait si chaudement les susceptibilités étaient, je l’ai dit, Similien et les odieux gredins qui, pendant près d’un mois, avaient fait peser sur la ville une menace ace publique de massacre, de pillage et d’incendie.

Le sénateur dénoncé était un homme de considération fort mince et de plus passablement brouillon ; mais sa personnalité disparaissait devant l’immense et terrible intérêt que soulevait la question posée. Il s’agissait en effet de savoir si toute une classe serait désormais condamnée