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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1076

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tout entier peut être considéré comme une suite de satires politiques. Si la manière de Giusti ne rappelle pas la manière de Béranger, on ne peut nier que le choix des sujets traités par le poète toscan ne rappelle très souvent à la mémoire du lecteur les œuvres du poète français. Quant aux vers publiés à Livourne, ils ne se recommandent par aucune qualité vraiment caractéristique. L’amour maternel, la confiance en Dieu, l’absence d’une femme aimée, n’inspirent à Giusti que des sentimens connus et traduits depuis long-temps, et qu’il n’a pas su rajeunir par la forme. S’il n’eût jamais écrit que les vers publiés avec son nom, il est certain que son nom ne lui survivrait pas ; aussi n’essaierai-je pas d’analyser les œuvres que je viens de désigner. Une pareille analyse serait sans intérêt, et n’apprendrait rien à personne. Ce qui importe, c’est de caractériser nettement la manière de Giusti, et pour cela il suffit de prendre dans son recueil quelques pièces dont le sujet bien déterminé nous permette de suivre pas à pas le mouvement de sa pensée.

Le Brindisi de don Girella est sans contredit une des plus gaies. Le vers, rapide et court, ne laisse pas un instant languir l’attention ; mais la gaieté, la malice et la raillerie qui respirent dans toute cette pièce n’en font pourtant pas une œuvre poétique dans l’acception la plus élevée du mot. Toutes les idées qui pouvaient être présentées sous une forme lyrique sont rassemblées par l’auteur dans le cadre d’une chanson de table ; mais elles demeurent à l’état de matière poétique, et, comme l’image ne vient pas au secours de l’auteur, comme la donnée, n’est pas fécondée par la fantaisie, le lecteur, tout en souriant aux pensées ingénieuses de Giusti, ne se sent jamais saisi d’étonnement ou d’admiration. À proprement parler, le Brindisi de don Girella est plutôt le thème d’une chanson à faire qu’une chanson faite. Le sujet ode ce Brindisi, comme l’indique le titre même de la pièce, n’est autre chose que le Paillasse de Béranger. Je ne veux pas établir de comparaison entre la chanson toscane et la chanson française ; ce serait de ma part un pur enfantillage. Qui sait, d’ailleurs, si l’on ne m’accuserait pas de céder moi-même à l’entraînement que je blâmais tout à l’heure ? J’aime mieux considérer la pièce en elle-même, sans m’occuper de la chanson écrite chez nous sur le même sujet. Or, si la versatilité, la servilité, le mépris de toute conviction, l’amour de l’avilissement, la passion de la vénalité, sont courageusement flétris dans le Brindisi de don Girella, il faut bien avouer que l’imagination, dans cette pièce, joue un rôle trop modeste. Il ne suffit pas, en effet, d’offrir des pensées justes, des sentimens généreux ; il faut encore trouver pour ces sentimens et ces pensées une forme élégante et vive, qui leur donne un caractère vraiment poétique, et c’est là précisément ce qui manque à don Girella.