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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1116

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du jour par le froncement de sourcil d’un dictateur ou d’un proconsul contre les dissidences secrètes, contre les désaffections latentes et contre les silences anti-patriotiques eux-mêmes. Lorsque Jean-Bon-Saint-André proposait un décret contre la débauche, quelle raison, quel idéal moral invoquait-il ? « C’est qu’au lieu de rendre les jeunes gens vigoureux et dignes des anciens Spartiates, la débauche n’en faisait que des sybarites incapables de servir la liberté. » Lorsque dans la plus vaine des tentatives pour transformer les mœurs, on érigeait des fêtes nouvelles au génie, à la raison, à la virilité, à la génération, qu’était-ce autre chose que la reproduction sous une forme abstraite de la pensée du paganisme qui personnifiait l’humanité dans ses dieux, en y ajoutant du moins la grace et la poésie de ses immortelles fictions ? Prenez cette tête du 20 prairial, miracle de la foi religieuse de Robespierre, — cette fête à l’Etre suprême, décrite avec un luxe d’imagination idyllique par David : le sentiment païen n’est-il pas partout ? Groupes entrelacés de jeunes filles, d’adolescens et de vieillards ! bœufs aux cornes dorées ! char antique pliant sous les fleurs et les fruits de la terre ! hymnes à l’auteur de la fécondité ! statue de la sagesse aux pieds de laquelle brûlent les emblèmes de la tyrannie, et qui apparaît à la fin dans sa vérité, hélas ! — enfumée et noircie, — comme par une de ces hautes et irrésistibles ironies de la folie humaine ! Rien y manque-t-il ? Et dans les divers héros de l’esprit révolutionnaire, — depuis Mirabeau prétendant consacrer sa dernière heure « à se parfumer, à se couronner de fleurs et à s’environner de musique pour entrer plus agréablement dans le sommeil éternel, » jusqu’à Baboeuf arrivant aux lois agraires et au bonheur commun, où est le plus fugitif, le plus lointain reflet chrétien ? Ni leurs vues, ni leurs qualités, à vrai dire, ne sont du christianisme. C’est un autre ordre d’idées, de passions, de natures, et il faut vraiment des merveilles de fantaisie historique et philosophique pour découvrir cette loi hiératique du progrès basée sur l’identité de la pensée chrétienne et de la pensée révolutionnaire recueillie et transformée par le socialisme contemporain ; — à moins qu’on ne l’explique par l’aveu des plus naïfs adeptes : c’est que la révolution continue bien effectivement le christianisme, mais en l’abolissant ; oui, en l’abolissant, — ce qui équivaut sans nul doute à le continuer, dans le langage mystico-socialiste. Un des nouveaux historiens de la révolution, M. Michelet, qui tient à entretenir la gaieté de son lecteur, dit que, dans la guerre de la Vendée, les républicains étaient les vrais chrétiens et que les Vendéens étaient les païens ! Cela est fort bien dit et d’un suprême effet dans une histoire humoristique. Probablement, les soldats de la république, pour réduire la Vendée, n’auraient eu qu’à inscrire en lettres d’or sur leur drapeau, comme un talisman, la trinité nouvelle imaginée par l’auteur du Peuple et qui se résume dans ces trois noms : Rabelais, Molière, Voltaire ! — Quant à M. Michelet, il avouera qu’il est plus facile aujourd’hui de se faire le voltigeur posthume du christianisme révolutionnaire et de jeter de tels masques sur la figure des Cathelineau et des Lescure.

Dépouillons de ses broderies grotesques ou humoristiques cet étrange problème qui est celui de la civilisation elle-même. Le malheur de la révolution française, ce qui fait qu’elle pèse comme un doute sur les plus honnêtes et les plus fermes esprits, ce n’est point qu’elle ait été dans son principe une infraction aux lois des sociétés issues dit christianisme : c’est la confusion qui s’est