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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/1155

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fier la moitié de la somme qui lui était confiée. Sans approuver la prédilection des peintres archéologues pour le Pérugin, il a consenti à flatter leur manie ; c’est à mes yeux une concession déplorable et parfaitement inutile. La petite secte qui prétend seule comprendre, seule posséder l’expression du sentiment religieux ne sera satisfaite que lorsqu’elle aura vu disparaître de la galerie du Louvre tous les tableaux entachés de paganisme, et Dieu sait si le nombre en est grand ! Pour ceux qui voient dans Raphaël le chef des païens, notre galerie, avant d’être déclarée chrétienne, doit se résigner à bannir comme impures bien des œuvres qui ne possèdent qu’un seul mérite : la beauté.

Je veux bien que le nouveau Pérugin soit supérieur aux tableaux du même maître que nous possédons depuis long-temps ; je veux bien qu’il soit mieux conservé et qu’il offre aux jeunes gens un sujet d’étude plus sûr et plus complet : il faut pourtant bien consentir à estimer ce tableau d’après sa valeur intrinsèque. Or, est-il permis d’admirer sincèrement les six figures dont il se compose ? La Vierge, qui tient sur ses genoux l’enfant Jésus, exprime-t-elle l’orgueil, la joie ou la piété consacrés par la tradition chrétienne ? Vante qui voudra le caractère de cette tête, je n’y vois pour ma part que la jeunesse et la santé, mais une jeunesse sans élégance, une santé sans éclat. Les mains ne sont pas étudiées. Quant à l’enfant Jésus, pour oser le comparer aux divins bambini créés par le pinceau de Raphaël, il faut commencer par exclure la beauté de la peinture. Sans cet anathème préliminaire, il est impossible d’accepter l’enfant placé sur les genoux de la Vierge comme le type du Sauveur. Les deux saintes placées aux côtés de la Vierge, au lieu de regarder Jésus comme le voudrait le bon sens, regardent le spectateur, et encadrent ainsi la composition au lieu d’en faire partie. La draperie de ces deux figures est d’ailleurs traitée avec sécheresse. Les deux anges placés derrière la Vierge méritent le même reproche que les deux saints ; ils n’ont rien de vivant, rien de passionné. Malgré leurs mains jointes pour la prière qui sembleraient indiquer la ferveur de l’adoration, ils regardent à peine l’enfant divin que la Vierge tient sur ses genoux. Ainsi, malgré son excellente conservation, malgré la pureté des tons qu’on dirait pris hier sur la palette, le nouveau Pérugin ne tiendra pas dans notre galerie un rang très élevé. Il viendra s’ajouter aux Pérugin que nous possédons déjà, sans exciter une curiosité bien vive, sans offrir un enseignement fécond.

Sans doute, il est bon, il est utile que notre galerie garde l’universalité qui la distingue entre toutes les galeries d’Europe ; qu’elle ne s’en tienne pas aux maîtres de premier ordre, et que les administrateurs de ce précieux établissement s’efforcent de plus en plus d’y réunir toutes les époques de l’art. Il ne faut pas, par respect pour Raphaël, pour Léonard, pour Corrège, pour Titien, proscrire les maîtres d’un mérite secondaire ; mais il serait sage de mesurer les sacrifices au mérite des œuvres qu’on veut ajouter à notre galerie. Si l’on se montre si généreux lorsqu’il s’agit d’acquérir un tableau qui ne se recommande ni par l’originalité de la composition, ni par la finesse du dessin, ni par l’expression des physionomies, où trouvera-t-on de quoi payer une Antiope, une Joconde ? Ce n’est pas ainsi que je comprends l’universalité pour une galerie de peinture, quelle qu’elle soit, et la nôtre est tellement importante qu’on ne saurait apporter trop de soin dans le choix des ouvrages que l’étranger peut nous offrir. Il faut surtout s’attacher aux hommes qui marquent dans l’histoire