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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/255

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combat les pensées de cet homme étrange ? Celles d’un père au cœur de qui retentissent douloureusement les coups portés à ses enfans ? celles d’un général qui met sur l’enjeu d’une bataille les plus chères espérances de sa vie ? La double responsabilité du pasteur et du chef d’armée s’était sans doute en ce moment révélée à l’ame du prêtre rebelle, et avait châtié son orgueil par une double torture. C’était sa voix qui avait poussé dans la plaine tant de milliers d’hommes armés de flèches et de frondes ; c’était par ses ordres que cent pièces d’artillerie avaient été traînées des points les plus reculés du Mexique jusqu’au pied de ces collines, tour à tour occupées et abandonnées par les insurgés et les Espagnols[1]. Seize mois avant la journée de Calderon, Hidalgo n’était encore que le curé de Dolores, obscure bourgade située à quelques lieues de Guanajuato ; Allende était capitaine dans un régiment espagnol. À quelle fatalité obéissaient-ils donc quand, dans la nuit du 16 septembre 1810, le premier cri d’indépendance fut poussé dans le bourg de Dolores ? Et comment expliquer cet élan révolutionnaire qui, à la voix de Hidalgo, s’était propagé, rapide comme l’incendie qu’allume la torche jetée dans les herbes flétries d’une savane ? N’y avait-il pas quelque chose de miraculeux dans cette armée de cent mille hommes recrutés en quelques jours par deux ou trois chefs résolus ? Mais aussi quel retour de fortune et quelle expiation cruelle pour leurs premiers succès ! Par trois fois, à Calderon, la victoire sembla se déclarer pour les insurgés ; par trois fois elle leur échappa, et l’explosion d’un chariot de munitions, en jetant le désordre dans leurs rangs, acheva enfin leur déroute. Quelques-unes de ces Landes, commandées par Allende et Abasolo, purent faire une honorable retraite et se tenir prêtes pour de nouveaux combats ; mais la perte des troupes insurrectionnelles n’en fut pas moins considérable. Il n’y avait pas, au dire d’une dépêche officielle, une baïonnette espagnole qui ne fût rouge de sang. Comme dans toutes les guerres civiles, le carnage avait suivi la lutte, et il fut terrible.

La plupart des chefs de l’armée vaincue à Calderon eurent une triste fin. Hidalgo, Allende, Aldama, trouvèrent la mort sur un échafaud à Chihuahua Les restes d’Abasolo, le chevaleresque insurgé, reposent au fond d’un cachot. Torres, le vaquero devenu chef d’armée, avait été ignominieusement suspendu au gibet de Guanajuato, et son corps, coupé en morceaux, avait été exposé en quatre endroits de cette ville, où la clémence des Espagnols avait gracié tous ses complices.

  1. Parmi les cent canons qui suivirent l’armée insurrectionnelle, il y en avait qui, arrachés aux arsenaux de San-Blas sur les bords de l’Océan Pacifique, avaient été traînés sur un espace de deux cents lieues à travers des chemins impraticables, sans autres machines que les épaules de milliers d’hommes dont « la sueur, dit un historien, arrosait littéralement la terre. »