Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la portée ? Qu’était-ce que ce vétéran des guerres de l’indépendance qui me témoignait, pour cette complicité, une si chaude reconnaissance ? Je commençais à me repentir d’avoir accepté pour compagnons de route ces personnages quelque peu suspects ; mais il n’était plus temps de me dégager, et Ruperto Castaños me traitait déjà comme un vieil ami. Il avait passé familièrement son bras sous le mien, et, moitié hésitant, moitié curieux, je me laissai entraîner hors de l’Alameda, sur le chemin de l’hôtel où nous devions souper. Je traversai en compagnie du vieux guerrillero une bonne partie de la ville. La nuit succédait déjà au crépuscule, et, quand nous arrivâmes sur la place d’Armes, la lune brillait dans un ciel d’une pureté, d’une transparence admirables. L’immense place, inondée de blanches clartés, ressemblait à un lac d’argent où çà et là les ombres tremblantes des grands frênes traçaient des dessins fantastiques. Des couples timides chuchotaient sous les arbres, et le bruit des causeries amoureuses s’élevait vers le ciel, mêlé au frémissement d’un jet d’eau dont la gerbe formait, au centre de la place, une colonne lumineuse. Les senteurs des jardins embaumaient l’air. J’aurais volontiers passé cette nuit sereine à me promener par la ville, heureux d’observer à mon aise cette vie nocturne des cités espagnoles du Nouveau-Monde, si pleine de charme dans ses romanesques mystères ; mais mon compagnon tenait fort à ne pas manquer l’heure du souper, et, au lieu de nous arrêter sous les beaux frênes de la place d’Armes, nous pressâmes le pas. Bientôt nous arrivâmes devant une maison basse comme la plupart de celles de la ville, mais d’une apparence assez gaie. Du vestibule de la porte cochère, qui s’ouvrit à la voix du capitaine, nous pénétrâmes dans une cour carrée, encadrée dans des galeries couvertes. Une rangée de grenadiers était parallèle à chaque galerie, dont les pilastres disparaissaient presque sous un verdoyant rideau de plantes grimpantes. De là je n’aurais pas eu besoin d’être guidé par don Ruperto pour me diriger vers la salle du festin : des voix bruyantes et le raclement d’une guitare m’indiquaient suffisamment ma route.

La salle où nous entrâmes n’était pas précisément éclairée a giorno, mais on n’y remarquait pas la même pauvreté de luminaire que dans la plupart des appartemens mexicains. Une assez nombreuse compagnie s’y trouvait réunie. Je reconnus parmi les assistans les personnages à mine patibulaire qui avaient conféré le matin même sur la route de Guadalajara avec le neveu du capitaine Castaños. Trois femmes, plus parées et plus provoquantes peut-être que belles, de celles que par courtoisie on nomme de vertu suspecte, se trouvaient mêlées aux convives. Sauf les figures peu prévenantes des amis du jeune neveu du capitaine, la variété et le luxe presque oriental des costumes rendaient le coup d’œil des plus pittoresques. Des feutres à galons d’or et