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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/288

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entre elle et son père, qui, tout en soupirant et sans oser leur donner la moindre espérance, renvoyait invariablement à sa fille ceux qui s’adressaient à lui. On s’étonnait dans le pays de ces refus multipliés, et l’on n’en pouvait deviner le motif. Les femmes disaient que Renée avait bien raison de ne pas se marier trop tôt, que les jeunes filles ne savent guère ce qu’elles font lorsqu’elles abandonnent leur liberté et leur insouciance pour les souffrances, les chagrins et les soins du ménage. À ces beaux discours. Renée souriait avec un peu d’embarras et ne répondait rien. Les hommes, surtout les amoureux refusés, l’accusaient de fierté et d’ambition : aucun d’eux, sans doute, n’était assez riche ni assez bien fait pour la mériter, elle attendait un bourgeois, peut-être un gentilhomme ; mais elle attendrait long-temps, si long-temps qu’elle finirait par regretter ceux qu’elle avait refusés.

Renée savait que l’on disait tout cela, et elle laissait dire. La vérité est qu’un pauvre jeune homme, valet de ferme chez son père, l’avait aimée et s’était fait aimer d’elle, lorsque la jeune fille brillait encore de toute la fleur de ses vingt ans. Il n’était pas plus beau qu’un autre ; il l’était même moins que bien d’autres. Doux et timide, il n’avait pendant long-temps osé exprimer sa tendresse que par ses attentions pour Renée et par son empressement à prendre pour lui toutes les fatigues qu’il pouvait lui épargner ; mais le secret gardé d’abord avec le soin le plus jaloux devient bientôt celui qui pèse davantage. L’incertitude paraît si cruelle, qu’on ne tarde pas à vouloir connaître son sort, quel qu’il puisse être. Jean parla enfin, et reçut un aveu qui le rendit le plus heureux des hommes. Cependant, lorsque Renée, en fille soumise, exigea que son père fût instruit de leurs sentimens, le cœur de Jean défaillit. Il connaissait l’ambition de son vieux maître, et se doutait bien qu’un pauvre hère comme lui, ne possédant pour toute fortune que ses deux bras et un cœur courageux, ne serait pas accepté pour gendre par le riche fermier. Il obéît pourtant, mais bientôt il revint, pâle et triste, raconter à Renée l’indignation du vieillard et le dur congé qu’il venait de recevoir.

Renée consola Jean en lui disant de ne désespérer de rien avant qu’elle eût parlé elle-même à son père. Malheureusement la tendresse même que le vieux fermier avait pour sa fille opposa un obstacle invincible aux désirs de celle-ci. Son père ne put se résoudre à renoncer aux brillantes espérances qu’il avait conçues pour elle, et elle essuya un refus plus péremptoire et plus sévère encore que celui qui avait désolé le pauvre valet de ferme. Ce fut alors que le caractère ferme et doux de la jeune fille se dessina pour la première fois dans cette lutte où l’avantage devait rester au plus persévérant. Elle ne fit aucune menace, resta calme et respectueuse ; seulement elle déclara à son père qu’elle n’épouserait jamais un autre que Jean, et qu’elle conservait