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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/313

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comme des draperies de deuil. Le vent continuait à souffler avec la même violence, et la pluie se glaçait en touchant le sol. Renée marchait, enfoncée dans sa douleur ; ses lèvres murmuraient des formules de prières dont la monotonie même semblait calmer et maîtriser son chagrin. Les yeux baissés, craignant de regarder la maison dont chaque pas la rapprochait, n’osant pas encore arrêter sa pensée sur celui qu’elle allait y retrouver, elle arriva jusqu’au seuil de sa pauvre demeure, et là elle s’arrêta pour reprendre haleine et courage. La porte était entre-bâillée, et le son de la voix d’Étienne parvint jusqu’à elle.

— Ne pleurez pas, Marie, disait-il, je ne souffre pas beaucoup, et je me trouve bien heureux… Vous me dites que vous m’aimez ! si je meurs, je mourrai près de vous… je n’en espérais pas tant hier !

— Vous ne mourrez pas, Étienne, répondait Marie en pleurant ; ne dites pas. oh ! ne dites pas que vous allez mourir… nous pouvons être si heureux !… Dieu ne voudra pas nous séparer maintenant ; ma mère consent à notre mariage… Vivez, cher Étienne, si vous voulez que je vive aussi,

— Ne parlez pas ainsi, Marie ; je ne mérite pas tant d’affection. J’ai si long-temps tremblé de vous inspirer de la haine… Ah ! je voudrais guérir pour vous donner ma vie entière.

— Écoutez-moi, Étienne, aujourd’hui je puis tout vous dire. Je serais bien malheureuse, si vous mouriez ; mais je ne le serais pas long-temps : le chagrin me tuerait, je le sens, et dans ce monde ou dans l’autre nous serons bientôt unis.

Renée n’en entendit pas davantage ; elle laissa aller le pêne de la serrure, sur lequel sa main s’était déjà posée, et, reprenant sa course sans but. elle s’éloigna une seconde fois de cette fatale maison à laquelle une malédiction semblait attachée. Instinctivement pourtant, elle ne reprit pas le chemin qu’elle avait déjà parcouru et que ses combats intérieurs avaient marqué de fatals jalons ; ses pas rapides la conduisirent à un carrefour bien connu, où une croix de pierre s’offrait autrefois à la dévotion des passans. La croix avait été abattue dans les derniers temps ; elle gisait au milieu des ronces et des herbes qui la couvraient en partie. Renée s’assit sur un des fragmens du piédestal, et abaissa son front vers le Christ de pierre grossièrement sculpté.

— O mon Jean, mon bien-aimé, mon fils ! s’écria-t-elle en se tordant les mains dans sa terrible angoisse, n’est-ce pas assez de t’avoir perdu pour toujours ? Un plus horrible sacrifice m’est-il encore imposé ? Faudrait-il accepter pour fils celui qui m’a privée de toi ?… Non, non ! c’est impossible ! Qu’il s’en aille ! Qu’il s’éloigne ! il ne peut pas m’appeler sa mère ; il ne peut pas remplacer à mon foyer celui qu’il a tué ! c’est impossible, mon Dieu ! impossible ! vous me maudiriez si je le souffrais.