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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/367

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Notre idéal de chroniqueurs n’est pas cependant, qu’on n’en doute point, un idéal d’indifférens et de sceptiques. Par-dessus toutes les variations des circonstances on des caractères dont nous nous croyons très autorisés à chercher ou même à signaler les causes, par-dessus les intérêts divers qui meuvent les partis dans des luttes où nous ne nous sentons pas toujours intéressés, par-dessus les fractions de ces partis et les caprices de leurs chefs, il y a un but, un espoir suprême vers lequel les mes devraient être incessamment tendues. Voir ce pays trop long-temps égaré dans des sentiers stériles redresser enfin ses erreurs, et s’instruire à conduire sérieusement sa vie, au lieu de la dissiper en emportemens et en légèretés ; réussir à lui persuader que le salut n’est pas dans cette aveugle et moutonnière incurie avec laquelle on s’en remet du soin d’être sauvé à la magie d’une formule générale ou à la responsabilité souveraine d’un individu ; lui persuader au contraire que le salut ne viendra point et ne peut venir, si chacun à sa place ne s’efforce, pour son compte, de s’améliorer le sens : tel est l’ardent désir qui fait le fond de notre politique.

On concevra peut-être que, sous l’influence de cette préoccupation un peu philosophique, elle soit moins accessible aux fantaisies ou aux manœuvres qui constituent quelquefois toute l’activité d’un parti. Nous pensons que la France gagnerait à ce que les partis y perdissent de leur valeur factice. Les partis sont à peu près aujourd’hui comme des camps désertés dont il ne resterait plus que les tentes vides ; mais cet appareil en impose toujours de loin, et il faut quelque hardiesse pour pénétrer dans l’enceinte et se prouver à soi-même qu’elle est abandonnée. Nous ne voulons pas dire que les partis puissent jamais cesser d’exister, et qu’il y ait dans les chances ultérieures de nos destinées l’éventualité d’une époque sans partis ; ce serait du moins l’époque de la mers, puisqu’il n’y a de vivant que le conflit des idées. Nous entendons dire seulement qu’il y a des cas où les partis, entraînés par des mobiles qui n’ont plus qu’un prestige médiocre sur l’immense majorité, s’attribuent une importance qu’ils ne possèdent plus, dès que les masses se sont retirées d’eux. Les principes fondamentaux qu’ils détendent les uns ou les autres demeurent sans doute tout aussi respectables et gardent la place qu’ils leur ont conquise dans les esprits ; ç’a été leur mérite respectif à chacun de réussir plus ou moins dans cette conquête ; mais ce qu’il y a de sûr et de vrai dans les principes d’abord les plus opposés finit par se concilier à la longue au profit du sens commun, et il peut arriver que l’antagonisme se réduise à des points qui, pour être considérables au gré de certains sentimens très raffinés ou de certaines ambitions très aiguisées, ne touchent pas à beaucoup près autant le cœur et les yeux de la foule. C’est alors que des camps qu’elle remplissait naguère, il ne reste plus, comme nous disions, que les tentes dépeuplées, moins toutefois bien entendu celles où les généraux et les états-majors s’obstinent à s’attarder, dans l’espoir de rallier leurs soldats. Nous ne serions pas étonnés que les soldats commençassent à faire la sourde oreille, et nous nous expliquons assez bien leur humeur récalcitrante pour n’avoir pas grande envie de les gourmander. Que la plupart des citoyens français soient aujourd’hui si enclins à se soucier médiocrement des drapeaux divers sous lesquels on livrait jadis des combats si passionnés, ce n’est pas, nous l’avouons, le signe le plus clair d’une vitalité très énergique. Les peuples qui ont encore beaucoup