Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/369

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans les coulisses. Cette ombre n’en couve pas moins de sourdes menaces qu’on se renvoie à l’envi, et qu’on devine réciproquement quand on ne les entend pas. Le pays a décidément résolu de se trouver bien tant qu’il n’aura pas fini de tomber ; comme l’homme qui, pendant qu’il tombait en effet d’un cinquième étage, priait seulement Dieu que cela durât. Le pays ne veut pas qu’on le dérange dans la suprême quiétude dont il s’octroie la jouissance ; il s’y opiniâtre et se bouche les oreilles pour ne pas saisir au vol les sombres rumeurs qui traversent les régions d’en haut. Paris a plus d’ouvrage que ses ouvriers n’en peuvent faire ; la Bourse ne consent pas à marquer sur son thermomètre les variations plus ou moins secrètes de la politique à huis-clos. Et, quoi qu’il en soit, il n’est plus personne qui se représente sans anxiété l’heure prochaine de novembre, où le pouvoir exécutif rencontrera devant lui les écueils et les tempêtes de l’arène parlementaire. Il n’est personne qui ne redoute un choc là où tout le monde souhaiterait une conciliation.

À quoi donc peut tenir cette crise souterraine qui tend les nerfs des hommes bien informés, et qui, sans tirer la bienheureuse multitude de sa façon tutétaire de vivre au jour le jour, la préoccupe pourtant d’un lendemain fantastique ? Ce lendemain, c’était par exemple jeudi dernier : les carabiniers devaient faire un empereur, et l’empereur devait aller coucher au donjon de Vincennes avant même que son lit fût dressé dans le château des Tuileries. Tout l’opéra le disait. Qu’avait donc l’Opéra ? Le président de la république croit dans l’intérêt de sa charge d’entrer en rapports gracieux et fréquens avec les troupes ; la commission permanente de l’assemblée législative passe pour goûter médiocrement ce commerce de politesses échangées par un chef civil avec des corps militaires : pure question d’étiquette et d’économie ! Lisez plutôt les journaux spécialement dévoués à M. Louis Bonaparte ; ils vous prouveront sans réplique qu’en tout temps on a crié vive quelqu’un, et qu’il n’y a rien là qui déroge aux traditions ou aux lois de l’armée. Lisez ensuite les on dit qui circulent sur les procès-verbaux de la commission de permanence ; vous y verrez très soigneusement enregistrée la vérification des munificences consommées par le soldat. Était-ce du pain bis ou du pain blanc, de la piquette ou du vin de Champagne ? Beau débat, n’est-ce pas ? et digne des vacances ! — Mais assez de la surface, allons au fond. Regardons les dessous de cartes, qu’on n’a pas d’ailleurs bien de la répugnance à nous montrer. Pourquoi veut-on d’un côté qu’on s’abstienne de contacts si multipliés avec les régimens ? Pourquoi met-on de l’autre tant de prix à leurs acclamations ? Pourquoi réserve-t-on tant d’indulgence celles qui sont le moins compatibles avec l’ordre établi ? Hélas ! c’est que l’ordre établi n’est rien pour personne qu’un temps d’arrêt, qu’une halte avant l’attaque ; c’est qu’il n’y a personne, d’un bord ou de l’autre, qui ne sache également que crier sous les armes vive l’empereur ou même vive Napoléon ! ce n’est plus saluer, comme autrefois, une autorité définitive et acceptée, mais seulement invoquer d’une voix impérieuse un avenir que d’autres contestent, mais seulement crier sous une forme moins agressive : Vive le prétendant ! à bas ses rivaux ! — En effet, nous le demandons avec la confusion d’un doute qui nous pèse, y a-t-il, sous toute cette cendre brûlante sur laquelle nous marchons, quelque chose de plus qu’une de ces histoires de rivalité comme en ont vu les derniers temps de Byzance et de Rome ? Le grand reproche que nous adressons