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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/39

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des créations du radicalisme germanique, et cela d’autant mieux que l’instruction publique était dirigée par un pédagogue allemand, M. Scherr. Quant à la presse, elle était aux mains d’un autre Allemand réfugié, M. Louis Snell, le patriarche du radicalisme en Suisse. L’éclat apparent de la nouvelle organisation n’en dissimula pas long-temps les vices intérieurs. Le gouvernement de Zurich avait perdu sa force par une division exagérée des pouvoirs ; la justice, dont la véritable mission est de servir la morale publique, la détruisait au contraire par le principe du formalisme radical, « que tout ce qui n’est pas défendu par la loi est permis ; » l’école faisait la guerre à l’église au lieu de marcher d’accord avec elle ; la presse, organe du radicalisme allemand, se prêtait à toute espèce de licence et de personnalités.

Le peuple s’éleva, en 1839, contre cet état de choses, lorsque le gouvernement appela l’auteur de la Vie de Jésus, M. Frédéric Strauss, à la chaire de dogmatique chrétienne de l’université, dans l’intention de réformer l’église. Ce gouvernement radical fut alors remplacé par un autre qui fit de vains efforts pour consolider un meilleur état de choses, car la majorité de ses membres se tenait dans un juste-milieu fort équivoque. Le nouveau gouvernement réussit d’autant moins qu’il avait pour ainsi dire à lutter contre toutes les idées négatives de la science allemande qui servaient de base au radicalisme suisse. Presque toutes les nuances de la jeune Allemagne étaient représentées à Zurich par des hommes tels que Scherr, Snell, Herwegh, Froebel, etc., qui, d’accord avec leurs confrères d’Allemagne, faisaient dans presque tous les journaux allemands au Zurich chrétien de 1839 une guerre encore plus acharnée que la presse radicale suisse elle-même. Le gouvernement de Zurich fut sur le point de succomber à toutes ces attaques en 1842 ; le radicalisme se croyait sûr de reconquérir ce canton et de précipiter ainsi la crise qui n’est arrivée qu’en 1847. Ce fut un Allemand qui, dans ce moment critique, déjoua les projets de ses compatriotes radicaux.

M. Frédéric Rohmer, après de longues et profondes études dans les sciences politiques, était venu à Zurich pour y étudier de près les germes des révolutions qui surprirent l’Allemagne quelques années plus tard. Il s’y lia avec quelques Suisses, en particulier avec le docteur Bluntschli, qui était alors le membre le plus influent du gouvernement de Zurich. M. Rohmer se mit à leur tête et fit avec autant de supériorité d’esprit que d’énergie morale la guerre aux idées du radicalisme allemand et à ses représentées en Suisse. Il leur opposa par la presse le principe libéral conservateur, proclamé et formulé alors pour la première fois. Ce principe, tel que le comprenait M. Rohmer, était également opposé au radicalisme et à l’absolutisme ; on pourrait l’appeler le vrai milieu par opposition au faux milieu ou juste-milieu des radicaux