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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/400

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comte d’Auersperg, plus connu sous le pseudonyme d’Anastasius Grün. M. d’Auersperg était l’honneur de la poésie allemande et du libéralisme autrichien. Ses Promenades d’un poète viennois, publiées il y a vingt ans environ, avaient donné un ébranlement salutaire aux intelligences, et tous les ouvrages qui ont suivi ce premier recueil particulièrement le Dernier Chevalier et le Niebelunq en frac, étaient comme des événemens politiques dans cette somnolente société. Quelle que fût cependant la sereine élévation de sa pensée, on peut se demander aujourd’hui si M. le comte d’Auersperg avait bien compris le rôle auquel il aspirait. Lui-même, n’en doutons pas, éclairé par tant de crises inattendues, il dut se dire plus d’une fois que l’idéal chanté dans ses poèmes n’était pas le but véritable où son pays devait tendre. Quel était donc cet idéal proposé à l’Autriche avec une si charmante poésie ? Toujours le gouvernement paternel, toujours ces rêveries d’une société patriarcale, exploitées dans l’Allemagne du nord par un esprit tout différent, de telle sorte que le piétisme de Berlin et le libéralisme de Vienne semblaient se confondre dans la même chimère. Il y a autre chose à faire aujourd’hui que de prolonger ces rêves enfantins. La prédication libérale en Autriche avant 1848 n’était pas moins éloignée du but que le gouvernement lui-même ; elle tournait dans le même cercle, elle se berçait des mêmes songes ; ministère et opposition libérale, tout désormais doit changer de terrain, tout ce qui veut mettre la main aux affaires de ce pays est tenu de s’engager résolûment dans les voies laborieuses ouvertes pour long-temps encore à la monarchie des Habsbourg.

Je ne sais si l’on doit espérer un tel progrès de l’ancienne opposition, de celle-là du moins qui confiait à des poètes l’expression de ses rancunes ou de ses songes. Il y a une inspiration fort commode pour la poésie politique ; on chante vaguement les réformes, la liberté, les droits du peuple, et si l’on possède une certaine facilité d’enthousiasme, si l’on manie habilement une langue souple et sonore, on recueille sans peine les applaudissemens de la foule. Cependant une crise peut éclater ; ces droits invoqués si haut, on les possède enfin quel usage en fera-t-on ? quel parti va-t-on prendre au milieu des secousses de la patrie ? Rêves et métaphores ne suffisent plus ; il faut penser, il faut agir : c’est alors que le poète politique est singulièrement embarrassé. Combien il aimerait mieux cet ancien régime qui lui fournissait de si beaux poèmes ! Comme il se serait accommodé de l’attaquer éternellement, de lui adresser sans fin de banales remontrances ! Et que le triomphe arrive mal à propos ! Il s’était fait un lit commode au sein d’une opposition à la fois paresseuse et fêtée ; maintenant les révolutions lui imposent d’autres habitudes, et, sans respect de sa gloire, le contraignent à se montrer sérieux. O désolation ! toute