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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/421

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tourna tout entière du côté de ce dédaigneux jeune homme, qui, dans des vers insolens et charmans, se raillait de tout ce qu’elle aimait, même de sa gloire militaire, qu’elle évaluait au taux de ses dépenses. Les esprits étaient à la fois provoqués par ces mépris superbes de tout ce qu’ils tenaient pour maxime nationale, et séduits par le charme de tant de force parmi tant d’éclat, de tant de profondeur dans un penseur si jeune, par cette liberté de tout dire qui les soulageait, sans qu’il y parût, de la contrainte des mœurs publiques.

À ne voir que le côté littéraire de Childe-Harold, quel plaisir de nouveauté ce dut être pour les Anglais, que la guerre claquemurait dans leur île, de voyager, à la suite de lord Byron, en Espagne, l’Angleterre usait la fortune de Napoléon sans le battre, et dans cet Orient, jusqu’alors un lieu commun de poésie classique ! Aujourd’hui. l’Orient lui-même, son soleil, ses parfums, ses perles, les beaux yeux noirs derrière le voile, l’amour mystérieux sous la pointe de l’yatagan, sont devenus un lieu commun ; mais en ce temps-là combien cette Asie de Mahomet, combien cette Grèce d’Ali-Pacha devaient paraître belles, comparées à l’Asie et à la Grèce apprises dans l’Homère traduit par Pope ! Combien des descriptions faites sans modèles, ou des modèles minutieusement copiés, durent rehausser le prix des chaudes peintures de lord Byron ! Il renouvelait la description en en chassant les abstractions et le détail d’inventaire, et en y faisant rentrer le sentiment. Cependant la description, dans Childe-Harold, n’était qu’un cadre, et, quoique tout y fût nouveau, il s’en fallait que tout fût de bon aloi. C’est d’ordinaire dans le cadre que l’auteur fait la plus grande part au tour d’esprit de son temps et au désir d’attirer les yeux sur lui-même ; aussi ne cherchez pas les défauts ailleurs : s’il y a de l’affectation, vous la trouverez là. Mais dans le cadre de Childe-Harold il y avait un tableau, la plus original et le plus intéressant de tous les tableaux, un esprit indépendant, dans un pays où tout le monde est assujetti à une règle, un penseur émancipé dans la ration qui se gêne le plus, un homme parlant de soi et ne se taisant guère sur les autres dans une société où l’on ne parle jamais ni de soi ni d’autrui.

C’est par le cadre que lord Byron avait attiré les passans ; c’est par le tableau qu’il attira et fixa les esprits sérieux. Cependant on ne parla, que du cadre, preuve qu’on était bien plus touché du tableau ; car, par la raison qu’on ne parle pas de soi en Angleterre, personne ne s’y avisait de prononcer sur ces poésies un blâme ou un éloge qui pût être un aveu de son propre fonds. Le peuple anglais est le peuple le plus libre du monde ; mais la société anglaise est celle où l’on se contraint le plus. Entrez dans un meeting ; vous voyez la censure, la calomnie même s’y donner carrière sous le manteau de la politique. Si l’on y garde quelque mesure, ce n’est pas que le droit y soit limité ou qu’on