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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/479

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LE COMTE.

Vous le pouvez toujours, madame; mais il est vrai que j’espère de vous une parole franche, qui vous engage, ou qui me force à me délier.

LA MARQUISE.

Vous avais-je lié?

LE COMTE, souriant.

Madame, si vous le voulez, je me suis lié moi-même, et si bien, vous le voyez, que ces nœuds, que j’ai formés tout seul, je ne les puis rompre sans vous. Mon cœur s’est élargi, il n’a point changé. Vous n’y êtes plus seule ni la première. Cependant vous y tenez plus de place que jamais.

LA MARQUISE.

Vous n’avez pas essayé de me chasser?

LE COMTE.

Non, madame, et je ne l’essaierai pas; mais je vous ai peut-être mise au second rang.

LA MARQUISE.

Vous me dites cela! à une néophyte, et qui n’incline à penser comme vous que depuis un instant! Si je trouvais que vous m’offrez un trop humble partage, que ce second rang ne va pas à ma gloire, et que je suis faite pour le premier, et que ces doctrines sévères qu’il faut embrasser nous acheminent à la lumière céleste par de trop sombres chemins?

LE COMTE.

S’il en était ainsi, madame, je vous plaindrais, non de me perdre assurément, mais de sacrifier au monde une ame, la vôtre, qui vaut mieux que lui. Quant à moi, je ne reprendrais pas et je n’offrirais pas à une autre ce que je vous ai donné. J’irais demander à Dieu des consolations qui n’offenseraient point votre souvenir, et, comme mon amour se porte surtout à vous vouloir chrétienne, je ne désespérerais pas d’y travailler encore, quand même j’y travaillerais sans vous et loin de vous.

LA MARQUISE.

Allons, vous savez relever cette seconde place, et vous la rendez encore sortable malgré ce qu’elle semble offrir d’un peu mortifiant.

LE COMTE.

C’est celle que je désire moi-même.

LA MARQUISE.

Descendez donc d’un degré dans mon cœur, cher comte, et donnez-moi la main.


LOUIS VEUILLOT.