Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/497

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de ces sauvages, il est poursuivi par l’image de son corps privé de tête, devenu le hideux trophée qu’outragent les femmes et les enfans de ses ennemis. Pour dominer une pareille vie, il faut des soldats que rien n’abatte et que l’ame du chef remplisse. Si le succès a couronné nos efforts en Afrique, nous le devons au caractère vigoureusement trempé de nos soldats, à cette gaieté énergique qui les faisait plaisanter de leurs misères et de leurs douleurs. La campagne qui suivit l’occupation de Mascara peut donner une juste idée de ces souffrances et de l’énergie que le général de Lamoricière sut inspirer à ses troupes.

Le climat est affreux, durant l’hiver, dans cette partie du pays : neige, pluie, grêle, vents, toutes les intempéries du ciel, et, dans certaines directions, le manque de bois, pour surcroît de misères ! Quand la division s’établit dans la ville conquise, il ne restait plus une maison intacte, pas un abri ; on se hâta de réparer celles qui étaient en moins mauvais état pour établir les magasins et les hôpitaux, car il fallait conserver avec soin le peu d’approvisionnemens que l’on avait pu apporter. La place ne pouvait être ravitaillée avant quatre mois, il n’y avait qu’un mois de vivres. « N’importe, avait dit le général Lamoricière : les Arabes vivent et tiennent la campagne, nous vivrons comme eux et nous les battrons, » et il fut fait comme il l’avait dit. Le troupeau amené de Mostaganem fut enlevé au moment où on le conduisait au pâturage ; les courses de nuit, la razzia rapide, rendirent bientôt la viande aux soldats ; le biscuit dut être soigneusement ménagé, mais il y avait du blé dans le pays, enfoui, il est vrai, dans ces greniers souterrains que les Arabes nomment silos ; on saurait le découvrir, et des moulins portatifs permettraient à la colonne de faire elle-même sa farine et son pain, et de prolonger ainsi ses sorties. Quand les renseignemens des espions indiquaient un emplacement de silos, c’était vraiment un spectacle singulier que celui de ces soldats piquant le sol avec leurs baguettes de fusil, essayant une place, puis l’autre, jusqu’à ce que la terre, plus friable, cédant sous la baguette bienheureuse, eût indiqué l’étroite ouverture du silos : alors le soldat favorisé du sort recevait dix francs, et, l’administration s’emparant de ce magasin, les distributions régulières commençaient, car le blé était un spécifique universel qui, dans les mains de l’intendant, se changeait en riz, sucre, café, biscuit, que sais-je ? blé-riz, tant de livres, blé-sucre, tant de livres, puis les moulins à bras tournaient, et la farine recueillie se métamorphosait en galettes entre deux gamelles, four improvisé quand le temps manquait pour établir ces fours en terre et en branchages que quelques heures suffisent à creuser. C’était une vie pénible, et j’ai peine à croire que les élégans du Café de Paris se fussent contentés de l’ordinaire de la colonne de Mascara ; mais l’entrain y régnait : le succès a aussi son ivresse, et rien ne fait supporter la fatigue comme