Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/512

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les bœufs le trouvèrent sans doute ainsi, car à la première sonnerie la panique avait gagné l’espèce cornue, et ils partirent à fond de train, semant partout les vivres confiés à leur réputation de sagesse.

Quant à M. de Corcelles, il était resté tout aussi célèbre que les bœufs porteurs du maréchal. Un grand chapeau gris, surmonté d’une plume d’oiseau de proie, une redingote noire coupée au milieu par un grand ceinturon blanc que tirait un grand sabre ; bref, un Fra Diavolo député avait produit une sensation dont on parle encore, je vous jure, quand on perd le temps en causeries comme nous le faisions en ce moment. Nos joyeux propos pourtant furent interrompus ; le tambour qui battait aux champs nous ramena auprès du général ; nous entrions à Mostaganem.

Au dire d’un conteur arabe, deux enfans jouaient pendant le rhamadan, sur le bord d’un ruisseau qui s’en allait, après une course d’une lieue, se perdre dans la mer. Au milieu de leurs jeux, le plus jeune, cueillant un roseau, le porta à sa bouche, et, l’offrant ensuite à son camarade, lui dit : Muce kranem (suce le morceau de canne à sucre). Hammid-el-Abid, le puissant chef de la tribu des Mehal, débouchait en ce moment sur la colline, et il entendit les paroles des enfans. Hammid voulait fonder une ville en ce lieu, mais il ne savait quel nom lui donner ; les deux enfans le tirèrent d’embarras, car ce fut ainsi, dit la légende, qu’en l’année 1300 fut nommée la ville bâtie par Hammid-el-Abid. Quelque répandue que soit cette légende, le chef guerrier a laissé des traces plus durables. Le fort du Mehal existe maintenant encore, et les travaux exécutés par les soins de ses trois filles ont rendu sa mémoire chère à tous les habitans, car ils doivent leurs aqueducs à la belle Seffouana, leurs jardins à Melloula la gracieuse, tandis que Mansoura, femme d’une haute piété, attirait la bénédiction du ciel sur la ville en faisant bâtir une mosquée qui lui servit de tombeau. C’est sans doute à ses prières que Mostaganem doit la prospérité qu’elle eut toujours en partage, même sous le chrétien maudit.

Une ravine, où coule le ruisseau, la sépare d’une petite colline appelée Matemore. Les nombreux silos que les Turcs y avaient creusés, renfermés dans l’enceinte d’une muraille crénelée, lui ont fait donner ce nom. Les principaux établissemens militaires occupent la crête de cette colline, d’où l’on découvre une vue magnifique : — à vos pieds, la ville, ses maisons, ses jardins ; en face, la mer et ses grandes vagues sans cesse remuées par le vent d’ouest ; sur la droite, à une lieue, de hautes montagnes, tandis que vers la gauche le regard suit les silhouettes boisées des collines qui longent la mer dans la vaste baie de la Macta, se relèvent à la pointe du cap de Fer, et dressent vers le ciel les arêtes dénudées de leurs roches grisâtres ; au loin enfin, dans la bruine, la montagne des Lions. L’horizon est immense, l’œil cependant en découvre sans peine tous les détails ; mais, si l’air est humide,