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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/540

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conseil et présenter aux chambres des lois que je n’aurais même pas le droit de voter au Luxembourg ? Toutes les instances de Louis-Philippe et de Madame Adélaïde avaient échoué, lorsque le roi s’écria : « Vous ne voulez donc pas m’aider à sauver les ministres ? » Profondément ému par ces paroles, je sentis ma résistance fléchir. Le roi venait de me découvrir son ame. La situation s’offrit dès-lors à moi sous un aspect tout nouveau. Je ne voyais plus seulement devant moi les difficultés redoutables des affaires et la perspective imposante de la tribune ; je voyais surtout l’honneur de la lutte contre des passions désordonnées, et ma jeunesse cédait à l’appât d’un danger personnel. Il s’agissait bien moins de me vouer à un système politique qu’à une pensée de clémence et d’humanité, ou plutôt cette pensée même constituait tout un système politique vers lequel je me sentais invinciblement entraîné. J’acceptai le portefeuille dans les conditions où il m’était offert, et dès ce moment je pris place aux côtés du roi, que je ne devais plus quitter pendant dix-huit années.

Les jours d’angoisses et de périls ne tardèrent pas à venir. On se rappelle le courage impassible de la cour des pairs et de son illustre président, M. Pasquier ; la première magistrature du pays répondit par l’arrêt d’une justice sévère et humaine tout à la fois aux injonctions d’une multitude égarée. Suivant le vœu du roi, les ministres de Charles X furent sauvés.

Les opinions de Louis-Philippe venaient de recevoir une première et solennelle consécration par l’arrêt de la cour des pairs : il ne s’arrêta pas là, et poursuivit plus vivement que jamais dans le conseil des ministres l’abolition de la peine de mort, au moins en matière politique. Cette lutte intérieure paralysa plus d’une fois le cours de la justice ; l’exécution des arrêts de condamnation demeura souvent suspendue entre les sévérités d’une loi que la royauté trouvait trop rigoureuse et les nécessités d’une répression que réclamait impérieusement l’intérêt de la société. Cette situation était devenue telle au mois d’avril 1831, que le ministère de Casimir Périer dut la prendre en sérieuse considération. Ce fut alors que. M. Barthe, garde-des-sceaux, présenta au conseil une large réforme du Code pénal. Cette réforme, votée par les deux chambres après une discussion approfondie, supprimait la peine de mort dans neuf cas différens ; elle abolissait la confiscation, la marque, le carcan, et faisait intervenir dans chaque verdict du jury les circonstances atténuantes réservées jusque-là à un petit nombre de cas exceptionnels. Cette dernière disposition était comme une porte éternellement ouverte à la miséricorde ; il y avait là provocation directe à la générosité nationale ; les mœurs publiques pouvaient désormais effacer la peine de mort des arrêts de la justice par la voix souveraine du jury. Nos codes conservaient sans doute encore trace de cette peine terrible