Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/547

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le retour de cent exilés, la joie de quatre cents familles, lui paraissaient le présent de noces le plus digne de la princesse qui allait devenir sa fille. Cependant quelle devait être l’étendue de l’amnistie ? où en seraient posées les limites ? Tel fut le grave objet des délibérations du conseil dans lequel j’avais l’honneur de siéger comme ministre de l’intérieur. C’est le 8 mai 1837 que M. Barthe, garde des sceaux, soumit définitivement au roi le projet d’ordonnance, délibéré d’abord entre les ministres. Nous avions entouré l’amnistie d’un très petit nombre de précautions restrictives. L’une, la plus grave, concernait seulement deux condamnés, Boireau, complice de Fieschi, et le régicide Meunier. Le roi avait déjà écarté de la tête de Meunier la peine de mort, prononcée par la cour des pairs. L’amnistie ne devait profiter à tous deux que pour une commutation de peine. Les autres restrictions avaient uniquement pour objet l’application de la surveillance de la haute police aux chefs des sociétés secrètes condamnés par l’arrêt de la cour des pairs du 23 janvier 1836.

Le roi garda le projet d’ordonnance, qui devait être renvoyé avec sa signature au garde des sceaux et inséré au Moniteur du lendemain. Tous les ministres regardaient cette affaire comme terminée, lorsque, vers dix heures et demie du soir, nous fûmes tous mandés aux Tuileries. Les ministres ne s’étaient pas placés comme d’habitude autour de la table du conseil ; lorsque j’arrivai, je trouvai le roi debout et expliquant avec vivacité qu’il avait des objections à faire contre le projet d’amnistie. Le projet, selon lui, n’était pas assez large : il ne pouvait ainsi donner et retenir tout à la fois ; il ne voyait aucun motif plausible pour soumettre certains amnistiés à la surveillance, et surtout pour ne pas rendre entièrement la liberté au régicide Meunier. Les termes presque passionnés de ce plaidoyer, s’ils provoquèrent chez nous tous la même émotion, rencontrèrent chez tous aussi la même résistance. Ce ne fut qu’après une longue discussion et à une heure avancée de la nuit que l’ordonnance, telle que nous l’avions délibérée, put être envoyée au Moniteur. Onze ans plus tard cependant, la liste des amnistiés donnait un chef à la révolte armée du 23 février, deux dictateurs au gouvernement républicain du 24 février, ses tribuns les plus violens à l’assemblée qui a proscrit le roi Louis-Philippe et sa famille. On le voit, l’ingratitude ne devait pas plus manquer à la clémence de 1837 qu’aux bienfaits de 1830.

Ce qu’on ne sait pas assez, ce qu’il faut dire, c’est que, dans sa propre cause, le roi pardonnait toujours sans effort. Là où son influence personnelle, ses idées, son système et ses prérogatives étaient en jeu, au milieu même de la lutte il absolvait d’avance les hommes qui s’étaient faits ses adversaires politiques. Au mois de juillet 1847, au moment