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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/555

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de Montmorency, après avoir obtenu par le crédit de Marguerite toutes les grandeurs, toutes les dignités, toutes les richesses qu’il pouvait souhaiter, la payait d’ingratitude, conseillait au roi d’assurer le salut spirituel de son royaume en commençant par sa propre famille l’application de la justice, et n’obtenait de lui qu’une réponse dédaigneuse où l’orgueil et l’égoïsme parlent plus haut que l’orthodoxie, n’était-il pas inévitable que la Sorbonne, dont la rancune se révélait par la bouche de Montmorency, essayât de prendre sa revanche ? Le roi avait dit : « Ma sœur m’aime trop pour jamais croire ce qui sera contraire au bien de mon état ; elle ne croira jamais que ce que je voudrai. » Déconcertés par ces paroles hautaines, les ennemis de la philosophie, que Marguerite protégeait avec ardeur, ont ajouté au reproche d’hérésie le reproche d’impudicité, et cette double accusation a été acceptée par la foule ignorante comme un article de foi.

Certes, je ne voudrais pas recommander les Contes de Marguerite comme un traité de morale à l’usage des jeunes filles. Cependant, parmi ces contes mêmes, il y en a plus d’un où la morale la plus sévère ne trouverait pas grand’chose à condamner, où la passion, loin d’être exaltée comme une loi suprême, nous est présentée avec un cortége de dangers, un appareil de souffrances, qui ne sont pas faits pour encourager le mépris du devoir. Et puis, d’ailleurs, est-il permis de juger l’auteur de ce livre avec une sévérité absolue, sans tenir compte du temps où elle a vécu, du milieu où s’est développée son intelligence, de l’éducation qu’elle a reçue, des exemples qu’elle a eus devant les yeux ? Le philosophe peut juger le livre en lui-même, l’historien ne doit jamais oublier l’état moral de la France pendant la première moitié du XVIe siècle. Or, sous le règne de Louis XII, sous le règne de François 1er, l’opinion se montrait fort indulgente pour la galanterie : faut-il s’étonner que Marguerite ait souvent partagé l’indulgence de l’opinion ? Louise de Savoie, dont les principes n’étaient rien moins que rigoureux, n’a-t-elle pas dû déposer dans l’ame de sa fille le germe d’une tolérance à toute épreuve ? J’en ai dit assez, je crois, pour démontrer qu’il ne faut pas attribuer à Marguerite seule ce que la morale doit condamner dans ses Contes.

Marguerite a été mariée deux fois, une première fois au duc d’Alençon, lorsqu’elle avait à peine dix-sept ans. La retraite précipitée de son premier mari à la bataille de Pavie, que l’histoire a flétrie du nom de lâcheté, n’expliquerait pas l’aversion qu’elle avait pour lui ; car si la lâcheté justifie le mépris, elle a besoin, pour se trahir, de se trouver en face du danger, et depuis le jour de son mariage jusqu’à la bataille de Pavie, c’est-à-dire dans l’espace de seize ans, le duc d’Alençon n’avait jamais eu à donner la mesure de son courage. Il faut donc chercher ailleurs la cause de cette aversion. La lettre mystérieuse dont