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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/566

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des biens je ne prête pas l’oreille à de pareilles billevesées. La correction ne plaît qu’aux petits esprits. L’étude attentive de la langue est la preuve manifeste d’une intelligence étroite. Pour descendre à ces pauvres détails, il faut n’avoir jamais senti le souffle de la Muse. Quiconque est doué d’une imagination ardente, quiconque dispose de l’espace et du temps au nom de sa fantaisie prend en pitié l’étude de la grammaire. Il faut laisser aux instituteurs primaires le soin puéril d’approfondir les lois de la syntaxe. Quand on se mêle d’écrire des comédies, et surtout des comédies historiques, on ne doit pas se montrer plus timide envers la grammaire qu’envers l’histoire. Comment ! l’auteur aura le droit de faire dire à Charles-Quint : Henri d’Albret, je vous donne en mariage la duchesse d’Alençon, que j’aime, et pour dot la Navarre, quoique le traité de Madrid stipule expressément, au nom du roi de France, l’abandon des droits d’Henri d’Albret sur la Navarre, quoique François Ier n’ait jamais dit un mot, jamais fait un pas, jamais étendu la main pour rendre la Navarre à son beau-frère, et le poète qui traite l’histoire si lestement sera forcé de respecter la grammaire ! C’est se moquer vraiment que de vouloir lui imposer une telle condition. Aux yeux du poète souverain, l’histoire et la grammaire sont comme si elles n’étaient pas ; s’il lui plaît de les consulter, de suivre leurs avis, elle doivent le remercier, mais ne jamais prendre pour un tribut légitime de déférence ce qui n’est de sa part qu’un acte de pure générosité. Ainsi, quand j’appelle l’attention sur le langage de Charles-Quint, quand je signale la syntaxe toute nouvelle qu’il veut mettre en honneur à la cour de Madrid, mon dessein n’est pas de tancer M. Scribe sur son ignorance. Je ne crois pas qu’il ait péché par oubli. Il a voulu nous montrer qu’il se moque de la grammaire aussi résolûment que de l’histoire, qu’il ne bronche pas plus devant les lois de notre langue que devant les faits accomplis dans notre pays, et je trahirais les droits sacrés de la vérité, si je ne reconnaissais pas qu’il a pleinement réussi dans sa démonstration. Il est bien entendu maintenant que le style de fantaisie convient seul à l’histoire de fantaisie. Il n’y a que les esprits mal faits qui puissent demander compte au poète de l’emploi qu’il fait des mots. Les mots lui appartiennent aussi bien que les faits, et, puisqu’il foule aux pieds les faits, je ne vois pas pourquoi il s’inclinerait servilement devant les lois grammaticales enseignées dans les écoles, lisières des petits esprits dont s’affranchissent les esprits hardis. Ce qui s’appelle incorrection pour les pédans de collège s’appelle, pour les poètes pénétrés de leur dignité, indépendance, souveraineté ; et puis n’est-il pas prouvé depuis long-temps que le style entrave la vivacité du dialogue ?

Mlle Madeleine Brohan, qui débutait dans le rôle de Marguerite, a fait preuve d’une intelligence précoce ; personne, en l’écoutant, ne croirait