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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/614

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et n’en restait pas moins observateur rigoureux des lois de son école par le choix exclusivement religieux de ses sujets et par l’ordonnance à demi symétrique de ses compositions.

Dès ses premiers pas à Florence, il s’était posé en ombrien fervent, et n’avait recherché et pris pour compagnons que les artistes qui avaient soutenu le Pérugin dans sa disgrace, qui se permettaient d’admirer les vieux maîtres, et respectaient les traditions. C’était ce Baccio della Porta, destiné à rendre immortel le nom de fra Bartolomeo, esprit austère et fougueux, entré tout récemment dans la vie monastique et hésitant encore à reprendre ses pinceaux ; c’étaient le fils du grand Ghirlandaïo, le pieux et tendre Rodolfo, Cronaca l’architecte, Baldini le graveur, et ce peintre suave et mélancolique, Lorenzo di Credi, formé comme Léonard aux leçons de Verocchio, mais entraîné par sa nature vers les mystiques inspirations.

Cette phalange d’artistes, au milieu de laquelle Raphaël, malgré sa jeunesse, s’était placé dès l’abord au premier rang, n’avait alors ni crédit ni faveur ; c’était un parti vaincu. Presque tous avaient aimé, suivi et défendu cet apôtre réformateur, ce Luther catholique, l’impétueux Savonarola, qui, durant dix années, avait tenu Florence sous sa loi et en avait chassé les Médicis. Précipité de sa haute fortune, Savonarola était mort dans les flammes, et les partisans des Médicis, bien que trop faibles encore pour tenter une restauration, avaient sourdement rétabli leur influence et reconquis le pouvoir. Ils l’exerçaient, sans qu’il y parût, par les mains du gonfalonier Soderini. C’était le même esprit que sous Laurent-le-Magnifique ; on chantait le même air, comme on dirait aujourd’hui, seulement on le chantait plus mal. Tous les amis de Savonarola, tous les mystiques, tous les fervens qui, comme fra Bartolomeo et Lorenzo di Credi, avaient, au commandement du saint homme, jeté sur le bûcher leurs études d’après le nu, tous ceux qui avaient tenté le dernier jour de l’arracher à la fureur des tièdes, étaient tombés en complète disgrace. Raphaël, quoique nouveau venu, devait, par point d’honneur, épouser leur querelle et partager leur fortune. Il n’y avait donc rien à espérer pour lui sous les lambris du Palazzo Vecchio.

Il s’y présenta pourtant une lettre à la main, lettre charmante dont le texte est venu jusqu’à nous et que la duchesse de la Rovère lui avait donnée à son départ d’Urbin. Le gonfalonier lut la lettre, et l’artiste n’obtint rien. Sa noble protectrice avait oublié que recommander dans cette maison un faiseur de madones, c’était perdre sa peine. Autant aurait valu, il y a cent ans, introduire un séminariste dans le salon de Mme Du Deffant.

Sans appui de ce côté, Raphaël se rejeta sur de plus modestes patronages. Il y avait encore par la ville quelques rares amateurs qui ne