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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/625

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des bords de la Brenta, dont Titien et le Véronèse couvraient les murs de fresques immortelles, dont les Zamboni, les Rizzo, les Bianchini, les Zuccati pavaient le sol d’incomparables mosaïques.

Si grande hâte qu’on ait à se rendre de Venise à Vérone, il est difficile de ne point s’arrêter aux stations, lorsque ces stations se nomment Padoue et Vicence. On en est quitte pour un retard de quelques heures, et quelques heures coûtent si peu à perdre en voyage. Grande et solennelle cité que cette vieille Padoue, tout imprégnée d’une âpre saveur de moyen-âge italien qui, au moment où vous mettez le pied sur le sol dantesque, vous enivre et vous monte au cerveau comme l’essence d’un flacon magique débouché pour la première fois ! Quiconque arrive du Nord et n’a vu que Venise ne sait rien encore de l’Italie. L’Italie du moyen-âge ne commence qu’à Padoue, et, pour la respirer dans toute sa fleur, il vous faut aller jusqu’à Vérone. Venise, à proprement parler, ce n’est point l’Italie, mais quelque chose d’unique au monde et de merveilleux qui se complète en soi, et n’a besoin de se rattacher à rien de ce qui l’entoure : une fantaisie, un songe, une arabesque ! — La mer, raconte une légende, ayant un jour rêvé d’une ville qui sortait tout armée de son sein, voulut réaliser ce rêve et fit en sorte que cette ville ne ressemblât à rien de ce qui s’était vu jusque-là sur la terre : de blanches coupoles se mariant dans l’air aux toits bariolés ; plus de lourds pavés sur le sol, mais toutes les chatoyantes pierreries du flot mobile ; des maisons bâties comme des grottes, la mosaïque luttant d’éclat avec les coquillages ! — La mer transmit son rêve aux peuplades qui fuyaient sur ses îles devant l’invasion d’Attila et des Huns. Ces peuplades écoutèrent et comprirent. L’or dans leurs mains se changea en églises, en palais, et Venise fut, vrai songe de l’Adriatique ! Gracieuse, élégante, fantasque, d’une mélancolie sublime et toujours originale, tenant au sud par la profusion de son marbre, au nord par le romantisme de sa nature ; Niobé par une nuit sombre, Circé à l’éclat des mille feux de la place Saint-Marc, Cybèle des mers, ondine et nymphe, et par momens aussi vision monstrueuse, apocalyptique débauche d’architecture : telle est Venise. Vainement vous y chercheriez l’Italie, tout vous y parle d’un monde lointain, de zones fabuleuses au-delà des mers. C’est peut-être l’Orient ; à coup sûr, ce n’est pas l’Italie. Qui oserait dire, par exemple, que le palais des doges ne figurerait point aussi bien quelque Alhambra superbe, résidence d’un prince arabe au temps de la domination des Maures en Espagne ? Et ce dôme de Saint-Marc, qui donc expliquera le sens de cet hiéroglyphe séculaire ? Sommes-nous à Byzance ? Volontiers on le croirait à voir s’arrondir la coupole de Sainte-Sophie dans le calme et la sérénité de ce ciel de turquoise ; mais alors que signifie la croix remplaçant partout le croissant ? Pourquoi point de turbans autour de nous, mais