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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/629

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rues à traverser, et le trajet se fit en quelques minutes. La résidence du maréchal n’avait rien à l’extérieur que de très simple, et, sans les grenadiers d’honneur, deux vrais géans hongrois qui gardaient le poste, nous eussions facilement passé outre. Ces hommes à têtes basanées coiffées de bonnets à poil énormes, le corps serré dans leurs courtes tuniques blanches, et portant, selon la tradition nationale, le brodequin de cuir sur la culotte bleue collante, respiraient une dignité martiale qui ne laissait pas d’imposer. Nous remarquâmes aussi, étendus et comme campés à la porte du vestibule, plusieurs de ces trabans impériaux qu’on appelle les manteaux rouges, tous vêtus à l’orientale : veste de pourpre chamarrée de galons d’or, pantalon bleu tombant à larges plis jusqu’au genou, et la ceinture lourdement équipée d’un arsenal de pistolets et d’yatagans. Nous montâmes jusqu’en haut de l’escalier, toujours accompagnés de ce mouvement bariolé qui se répand et tourbillonne autour du quartier-général d’un commandant en chef. Seulement ici le va-et-vient avait quelque chose de plus animé, de plus original, de plus étrangement pittoresque qu’on ne pourrait le voir aux Tuileries, par exemple, quand on se rend le matin chez le général Changarnier. Et cela se conçoit : au point de vue de ce qu’on appelait jadis la couleur locale, l’armée autrichienne doit compter pour la plus intéressante qu’il y ait. Germains, Croates et Roumains, tous les types de la grande famille européenne y figurent avec la physionomie qui leur est propre et le costume national, sans parler de ces races moitié européennes et moitié asiatiques de la frontière. J’avais vu quelques jours auparavant représenter sur le théâtre du Burg, à Vienne, le Camp de Wallenstein de Schiller, et l’apparition dramatique semblait revivre devant moi dans cette multitude de sereshans, de hulans, de dragons et de hussards, rouges, blancs, jaunes, bleus, historiés d’arabesques sans nombre, et traînant avec fracas sur le degré leurs sabres de cavalerie. Par ordre du jeune empereur et de son état-major, qui, depuis les dernières campagnes soutenues par la révolution contre les gouvernemens, ont jugé que c’était là une arme plus redoutable, mieux appropriée aux circonstances dans une guerre de barricades, les officiers de l’infanterie autrichienne portent aujourd’hui sans distinction le sabre traînant, de sorte qu’il est facile de s’imaginer le cliquetis assourdissant qui en résulte. À Vienne, sur la dalle sonore du Graben, ce bruit nous avait déjà frappés ; mais ici on se serait cru au milieu d’un camp. Les officiers à plumes vertes montaient et descendaient, les éperons retentissaient par les corridors, et à chaque instant le pavé de la cour était ébranlé sous le sabot du cheval d’un hussard d’ordonnance apportant au galop dans sa sabretache des volumes de paperasses à la signature du maréchal.

Au premier étage, nous fûmes introduits dans les appartemens occupés