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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/632

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de ces mille légendes de la vie de camp et de garnison, où il se montre au dénoûment comme une sorte d’intervention providentielle, de deus ex machina ; c’en est fait de cette épopée homérique dont il est le héros célébré, héros valeureux, humain, paternel, et prenant toujours sa part, joie ou peine, de tout ce qui arrive au dernier soldat de son armée, au dernier enfant de sa famille. Un jour, selon un bruit qui circule, le vieux maréchal, passant devant un de ses grenadiers qui montait la garde, eut l’idée de lui faire quelque largesse ; restait à savoir comment s’y prendre, car le brave homme était sous les armes, et Radetzky connaît la consigne. Heureusement une borne se trouvait à deux pas de la guérite ; le maréchal l’avise, y pose discrètement sa bourse, et, clignant de l’œil à la sentinelle, poursuit sa promenade, les mains croisées derrière le dos. J’ignore ce que ce fait peut avoir d’authentique ; mais, à la place de l’humoriste caporal, qu’on mette le prince Windischgraetz, et la chose n’a plus l’ombre de vraisemblance. C’est que, pour être un général d’armée, il ne suffit pas de conduire ses soldats à la bataille ; ce n’est même point assez que de vaincre avec eux, et celui-là n’accomplit que la moitié de sa tâche qui ne se montre qu’au feu de l’ennemi. « Il avait été à la peine, c’était bien le moins qu’il fût à la fête, » disait de son drapeau l’immortelle héroïne de Vaucouleurs. Être de la veillée au bivouac, comme le matin on a été de la prise d’armes, vivre avec son monde corps et ame, inséparablement, l’échauffer de son souffle à toute heure, et sous quelque forme que les circonstances l’exigent, tomber au milieu des gens comme une bombe, les deux plus illustres capitaines des temps modernes, Frédéric de Prusse et Napoléon, avaient en eux de cette nature démoniaque qui dompte et subjugue. Il ne m’appartient pas d’apprécier le génie militaire du comte Radetzky ; mais ce que je puis dire, c’est qu’il relève de la tradition des grands hommes de guerre que je viens de citer. Le maréchal me rappelait surtout le maréchal Bugeaud : il y a en effet un air de famille entre ces deux personnages, et les rapprochemens ne manqueraient point à qui voudrait les saisir. Avec la causticité du caractère, avec une bonhomie un peu rudoyante et je ne sais quel ton de bourru bienfaisant chez l’un comme chez l’autre ; il y a encore cette tendre sollicitude à l’égard du troupier, dont le héros de l’Isly, non moins que le vainqueur de Novare, ne s’est jamais lassé de donner l’exemple. On dirait que tous deux ont eu le secret de cette gaudriole talismanique qui relève soudainement le moral d’une armée en désarroi. « Allons, mes enfans, la casquette à Bugeaud ! » s’écriait le maréchal d’Afrique au milieu du morne silence d’une marche forcée à travers le désert, et nos braves bataillons, déjà courbés et chancelans, trompant tout à coup la soif et l’inclémence d’un ciel de feu, entonnaient le refrain grotesque sur un motif de fanfare, et vaillamment