Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/639

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

terrain manquant de vivres, et que pendant trois jours on se battit devant Novare sans avoir de quoi manger ! On rencontre à Vérone et à Milan, derrière la vitre de certaines boutiques, une estampe satirique dont le passant peut deviner l’allégorie : sur le premier plan sont figurés des soldats ; sur le second, des officiers ; sur le troisième, un homme revêtu des insignes de la royauté. Or voici comment l’impitoyable fantaisie de l’artiste a imaginé d’affubler son monde : les premiers ont des têtes de lion ; les seconds, des têtes d’âne ; quant au troisième, le roi, il est sans tête, acéphale. On attribuerait cette cruelle satire aux Autrichiens, si l’on ne savait que, sur cette question de la guerre de l’indépendance, les Italiens n’ont point pour usage de se ménager les uns les autres, et que les plus rudes traits, comme les plus sanglantes invectives, viennent de leur propre camp. On ne peut refuser aux peuples de l’Italie le courage, l’intelligence et le génie ; mais ce qui paralyse ces dons la plupart du temps, c’est un esprit exalté, superbe, outrecuidant, cause de tant de folles hallucinations et de toutes leurs rivalités municipales.

Si l’humeur milanaise est peu indulgente pour les piémontais, Turin ne se montre pas moins sévère pour Milan, et cela sans avoir besoin de recourir aux jeux d’esprit. Un officier piémontais, M. Maxime Ferrer, a raconté[1] l’accueil que l’antique capitale de la Lombardie réservait à l’armée libératrice battue à Lodi par Radetzky et contrainte à se replier sous les murs de Milan. « L’armée a quitté Lodi à dix heures du soir et pris la route de Milan. Le roi a marché toute la nuit avec la brigade de Savoie. Nous sommes arrivés à midi aux portes de la ville ; on nous a reçus très froidement, j’ai même entendu les mots de quelques personnes qui tournaient en dérision le délabrement de notre tenue : Che bruli soldati, com son laceri ! Nous nous attendions à voir arriver, pour remplacer dans nos rangs nos morts et nos blessés, tous ces jeunes Milanais qu’on nous avait représentés comme résolus a s’ensevelir sous les ruines de leur ville, plutôt que de subir une seconde fois le joug abhorré ; mais je ne puis citer ici qu’une vingtaine d’individus vêtus et armés en héros de mélodrame (nouveau costume italien en velours noir, carabine sur l’épaule, sabre au côté, pistolets et poignard à la ceinture ), qui sortirent de la Porte Romaine au pas de charge en criant à gorge déployée : Morte ai barbari  ! » Vaincu par tant d’obstacles, Charles-Albert, pour épargner à Milan les horreurs d’une prise d’assaut, et sauver ses troupes d’une entière défaite, prit le parti d’envoyer des parlementaires au chef de l’armée autrichienne. Cela se passait le 5 août, c’est-à-dire juste dix jours après que le roi de Piémont avait refusé la ligne de l’Adda que lui offrait Radetzky !

  1. Dans un impartial et excellent livre, le Journal d’un officier de la brigade de Savoie sur la campagne de Lombardie.