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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/67

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tour chevaucher le cortège de quelque abbé, monté sur un mulet aux riches caparaçons et aux clochettes retentissantes, que suivaient à cheval ses serviteurs blancs et maures, ses pages et ses écuyers.

Nous étions allés à Wingfield en pique-nique. En France, on entend par là un repas où chacun paie son écot. Les Anglais nous ont pris le mot, mais ils ont changé la chose. Un country gentleman donne rendez-vous à ses voisins de campagne dans la cour de sa maison ; là, des voitures pleines de provisions les reçoivent. On part pour un lieu de promenade, le plus souvent historique ; on s’arrange pour arriver à l’heure du luncheon : c’est, comme on sait, le repas de l’après-midi, notre dîner d’autrefois. Les convives mangent de bon appétit, mais sobrement, quoi que fassent dire certains Anglais, qui se relâchent sur le continent de la modération qu’ils s’imposent si sagement chez eux. Une gaieté égale, mais sans épanchement, anime doucement le festin. On cause à la surface, mais tout le monde également, et, si personne ne domine l’entretien, personne n’en est exclu. Après quoi, on visite ensemble ou par groupes le lieu de promenade. C’est ainsi que les choses se passèrent quand nous visitâmes les ruines de Wingfield. Je n’en parlerais pas, si je n’étais encore touché et charmé du soin que prenait de ses hôtes l’aimable femme qui nous donnait la fête. Elle avait tout ordonné, elle conduisait tout, sans qu’il parût sur son gracieux visage plus de préoccupation que sur celui d’une invitée se laissant faire.

Les dames avaient apporté leurs cahiers d’esquisses ; elles se dispersèrent pour aller prendre des croquis. Tandis que les crayons cheminaient sur le papier, les hommes parcouraient les ruines, montaient au haut de la tour, descendaient dans la crypte qui servait de cave au manoir, mesuraient la cheminée sous laquelle s’étaient chauffés debout les descendans de Peveril. Tous faisaient usage de leurs notions archéologiques ; personne ne songeait à se mettre à l’écart pour rêver. Une ruine, pour des Anglais venus en pique-nique, n’est pas un sujet, de mélancolie : c’est un but de promenade utile, c’est une connaissance précise qu’il est de devoir d’acquérir, car il s’agit de l’histoire du pays.

Il arriva, deux heures après nous, un archéologue de profession. Il amenait avec lui une grande compagnie. Les deux sociétés se mêlèrent et formèrent un auditoire imposant. Ce savant avait le parler clair et facile. Il donnait une date à l’édifice, il y notait les styles de plusieurs époques, il en caractérisait les différences. Je voyais certains auditeurs prendre des notes. Peut-être aurais-je eu du plaisir à l’écouter moi-même, si quelque chose pouvait m’intéresser dans une ruine qui ne soit pas la ruine elle-même, comme la plus triste des choses humaines. À quoi bon la science contentieuse sur des débris qui annoncent