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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/672

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Saltello à Monclova m’ont révélé la guerre sous des aspects que les plus terribles combats m’avaient laissé ignorer.

La première de ces aventures remonte aux jours qui suivirent la prise d’armes si audacieusement provoquée par le curé de Dolores. C’était au mois de décembre 1810. L’insurrection naissante était dans toute sa force, et je n’eus que trop tôt occasion de reconnaître combien d’instincts cruels se mêlaient aux passions généreuses dans ces premières heures de la lutte. Enrôlé sous le drapeau de l’indépendance et devenu commandant d’un escadron de rancheros, j’avais été blessé dans une escarmouche aux environs du pont de Calderon. Ma troupe s’était dispersée. Pressé de regagner Guadalajara, j’avais lancé mon cheval à travers des chemins déserts, espérant ainsi éviter les circuits périlleux des routes fréquentées. Malheureusement la nuit me surprit lorsque j’avais encore dix lieues à faire pour atteindre la ville. J’étais dans l’immense plaine où plus tard les Espagnols devaient remporter une si sanglante victoire. Ma blessure, quoique légère, avait changé pour moi en une faiblesse douloureuse la lassitude qui suit toujours un combat. Mon cheval se traînait péniblement. D’épais nuages chargés d’électricité avaient envahi le ciel, et le vent qui précède les tempêtes tordait autour de moi les rameaux échevelés des arbres du Pérou. Bientôt de larges gouttes de pluie tombèrent sur les hautes herbes, et quelques éclairs jetèrent de sinistres lueurs au milieu des ténèbres qui m’entouraient. Je pus alors reconnaître que j’étais peu éloigné d’une de ces haciendas ruinées et désertes qui depuis la guerre servaient de refuge aux détachemens des deux armées. Me sentant trop affaibli pour continuer ma route, je résolus, à mes risques et périls, de me diriger vers l’hacienda, dont les murs crénelés commençaient à se dessiner distinctement sur le ciel. Rien dans cette enceinte silencieuse et sombre ne semblait indiquer la présence d’un être humain. En quelques minutes, j’eus franchi un ravin où grondait un torrent formé par les dernières pluies, et je me trouvai devant la porte de la terme abandonnée qui devait me servir de gîte pour la nuit : c’était l’hacienda de la barranca del Salto.

Mes préparatifs d’installation furent courts ; après avoir poussé mon cheval dans la cour de l’hacienda, je sautai à terre, non sans maugréer contre la blessure qui commençait à gêner mes mouvemens et surtout contre les drôles qui m’avaient mis en si piteux état. D’un pas alourdi par la fatigue et tenant mon cheval en laisse, je procédai à l’inspection de la cour où je me trouvais : j’étais au milieu d’une espèce d’arène bordée de trois côtés par des arcades en maçonnerie à demi écroulées ; çà et là, sous ces arcades, s’ouvraient des portes privées de leurs battans. Au milieu de la cour, quelques tisons presque éteints attestaient que des voyageurs avaient, peu d’instans avant moi, traversé