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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/689

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troisième citerne s’offrit à nous, desséchée comme les deux autres. Aux bords de ce puits, OEil-Double répéta de nouveau, après avoir mesuré les empreintes : Elizondo ! Elizondo !

Après une journée plus fatigante que les deux précédentes, à cause des chemins pierreux qu’il nous avait fallu suivre, nous arrivâmes au rancho avant le coucher du soleil. Cette dernière journée faite sur les rochers de l’Espinazo del Diablo avait tellement usé les sabots de l’un de mes chevaux, qui n’était pas ferré, que je fus obligé de le laisser à la garde du propriétaire de la petite métairie. Le pauvre animal ne pouvait plus faire un pas : c’était lui qui nous avait retardés dans cette dernière étape. C’est ainsi, comme vous pourrez en juger tout à l’heure, que s’accomplissait fatalement notre destinée. Au rancho de la Punta, nous nous donnâmes pour trois marchands que les nécessités de leur commerce appelaient à Monclova, et nous ne fîmes aucune allusion aux citernes que nous avions trouvées toutes desséchées. Nous feignîmes aussi d’ignorer que les anciens chefs de l’insurrection mexicaine fussent en route pour la ville où nous nous rendions. La trame de perfidie qui entourait les généraux fugitifs nous paraissait si habilement ourdie, qu’il fallait redoubler de prudence.

Dans la journée qui suivit, et devait se terminer à l’endroit appelé la Salida del Espinazo del Diablo (la Sortie de l’Épine du Dos du Diable) le spectacle que nous offrit la route était le même. Les loups et les vautours, occupés à dévorer les cadavres des mules et des chevaux, plus nombreux encore que la veille, et qui fuyaient à notre approche ; la chaleur, les exhalaisons empoisonnées ; les rocs blancs et décharnés trouant à chaque pas une mince croûte de terre végétale telles étaient les scènes qui frappèrent nos yeux. Auprès de deux autres citernes ensablées comme les premières, OEil-Double releva les mêmes traces et fit les mêmes exclamations d’anathème contre Elizondo.

Vers trois heures, les pauvres habitans d’une misérable hutte purent, à prix d’or, nous vendre une ration d’eau suffisante pour nos cinq chevaux et pour renouveler l’eau de nos outres, après quoi nous fîmes halte en plein champ, pour dormir à la belle étoile au-delà de l’étape de la Salida del Espinazo que nous avions dépassée, tant nous avions hâte d’arriver en temps utile à Bajan. Vous remarquerez bien que sur sept norias que nous devions rencontrer sur notre route, nous en avions trouvé déjà, conformément aux prédictions d’Œil-Double, cinq complètement desséchées. À l’endroit où nous avions fait halte, le paysage avait changé d’aspect : c’étaient encore des plaines arides, mais qu’égayaient du moins quelques bouquets de bois de fer. Nous aurions bien poussé plus loin encore cette nuit-là ; mais le seul cheval qui me restait avait nécessairement plus souffert de la fatigue que les chevaux de mes deux compagnons, qui n’avaient fourni, sous le cavalier,