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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/705

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le chef appelé par le libre choix de ses frères à les diriger dans l’application de la règle commune ne soient esclaves de cette règle aussi bien que le plus humble des frères servans. Il y a là plus que l’égalité des salaires, il y a similitude absolue dans la vie de l’ame et du corps. C’est pour cela que le génie de notre langue a indissolublement associé l’idée de communisme à celle de communauté, et que nos pères ont vu le jacobinisme essayer parfois de remonter, comme le socialisme contemporain, vers de mystiques régions, pour donner quelque consistance à ses aspirations et à ses chimères.

L’impossibilité d’asseoir le dévouement sur une base purement humaine a donné naissance à une école qui est assurément l’un des résultats les plus curieux de nos temps de confusion. Cette école a prétendu trouver dans le jacobinisme un produit de la pensée chrétienne, et, s’efforçant d’établir la conciliation de l’esprit révolutionnaire avec l’esprit catholique, elle est allée jusqu’à voir dans Robespierre, pour emprunter sa propre formule, « la plus haute expression de l’esprit chrétien dans les temps modernes. » Frappée d’impopularité et d’impuissance depuis trois siècles, l’église serait appelée à se régénérer de nos jours en appliquant à la politique les idées de perfectionnement et de progrès professées par les jacobins, idées primitivement suscitées par elle, mais dont le clergé avait eu le tort de restreindre l’application à l’ordre purement moral, en refusant de passer du gouvernement des ames au gouvernement des intérêts et de la régénération de la conscience à la régénération de l’ordre social.

Si de telles excentricités ont pu faire quelque bruit dans le monde il y a peu d’années, lorsque les théories révolutionnaires n’étaient pas descendues des livres dans la rue, elles ne comportent plus aujourd’hui un examen sérieux. Les éclairs de février ont illuminé toutes les doctrines jusque dans leurs plus sombres profondeurs. On a vu la vieille école jacobine se ranger naturellement et sans effort derrière les jeunes docteurs socialistes, et à l’heure qu’il est, ce serait à coup sûr peine perdue que d’établir contre M. Buchez l’antagonisme radical de la doctrine chrétienne du sacrifice et de la doctrine socialiste de la jouissance. Lorsque les auteurs de l’Histoire parlementaire de la Révolution ont vu cette démocratie parisienne, au sein de laquelle ils eurent l’étrange pensée d’aller chercher l’esprit et la tradition apostoliques, choisir l’auteur du Juif Errant pour la représenter, les écailles n’ont pu manquer de leur tomber enfin des yeux. Ce n’est pas quand une doctrine prend pour mot d’ordre avoué la réhabilitation de la chair, et qu’elle se résume dans la brutale apothéose des sept péchés capitaux, qu’il est possible de la présenter comme l’émanation du dogme dont elle est la suprême négation. Le monument historique élevé sur cette base singulière à la gloire des jacobins aura toutefois pour la postérité