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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/755

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faut, pour user des expressions mêmes du message, « inspirer au peuple la religion du droit et lui créer des mœurs politiques.. »

Ce n’est pas là certainement l’affaire d’un clin d’œil, et cette morale conservatrice n’entre point dans la chair et dans le sang d’un peuple avec autant de facilité qu’on en a pour lui expédier une révolution par le télégraphe. Comment donc cependant ceux qui escomptaient avec le plus de candeur les chances futures d’une révolution ainsi improvisée pour le bon motif, comment les solutionistes à heure fixe et à recette absolue s’accommodent-ils si bien du veto que le président jette en travers de tous leurs songes ? Comment sont-ils plus disposés à le remercier qu’à lui en vouloir ? Il y a là une de ces contradictions qui ne s’expliquent que dans une société battue et désemparée comme la nôtre. Ces plans par trop impétueux d’une reconstruction immédiate, la violence même de ces grands moyens de salut public, proviennent pourtant d’un fond très pacifique, d’un immense amour du repos : on a la soif du repos ; un peu plus, on en aurait la fureur. On s’est dit que, pour être sûr de se reposer tout-à-fait, il faudrait peut-être encore se soumettre à quelque opération laborieuse, et l’on en aurait voulu finir plus tôt que plus tard. Maintenant, le message du président écarte et ajourne toute opération de cette sorte avec une autorité si haute et si persuasive, que cette autorité devient tout d’un coup le gage inespéré du repos après lequel on soupirait si ardemment. Au lendemain de ce bruit agaçant que faisaient encore hier de trop pitoyables querelles, on est aussi ravi qu’étonné de se trouver comme transporté dans une ère nouvelle où personne n’opposera plus aux incertitudes de l’avenir que la vigilance d’un dévouement patriotique et le calme d’une attente résignée. Cette sécurité imprévue, garantie par l’abnégation généreuse dont le président de la république a pris l’initiative, elle est elle-même un véritable et durable apaisement : — sécurité provisoire, soit ; mais aussi confirmation de ce provisoire, et confirmation d’autant plus solide qu’elle est plus honorable. Il est entendu et reçu que tout le monde en a maintenant pour jusqu’en 1852 ; cette seule assurance d’un répit auquel il est désormais interdit de ne pas croire a suspendu la fièvre dont on ne pouvait se défendre à la pensée d’éventualités plus prochaines.

Pourquoi, d’autre part, éviterions-nous de le reconnaître ? le message ne change rien en somme à la situation : elle est après le message ce qu’elle était avant, le bout n’en est pas plus clair, et ce qu’il a d’obscur serait plutôt au contraire plus formellement dénoncé que jamais. La situation par elle-même n’est donc pas meilleure, voilà qui est certain ; mais il n’est pas moins certain que le message ajoute sensiblement aux titres personnels de M. le président de la république, et ce bon point, si j’ose ainsi dire, acquis à sa personne relève en même temps la situation. La conduite dont il s’est tracé publiquement le programme pourrait bien être un système ; le système, en tout cas, a quelque chose de grand et de loyal. On ne serait pas homme sans doute, si, en renonçant de son chef à telles ou telles perspectives éclatantes qui semblaient sous la main, l’on n’avait la satisfaction secrète d’en boucher d’autres qui faisaient une diversion peu agréable. Il n’est pas impossible qu’on se soit résolûment fermé les Tuileries pour être plus à même de n’y laisser asseoir personne, et peut-être ne marche-t-on si décidément sur le chemin de l’abnégation que parce qu’on coudoyait trop de monde sur celui de la persévérance. Mais à Dieu