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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/768

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REVUE DES DEUX MONDES.

singulières, par des tentatives inattendues et des apparences de résurrection, l’une livrée à sa propre inspiration, l’autre aux mains d’un homme d’une ténacité rare, qui a su illustrer à quelque degré son despotisme turc par des bienfaits de prospérité matérielle. C’est le côté général « ur lequel vit la politique européenne en y imprimant la marque de ses passions, en dénaturant, souvent au profit de ses préjugés, le sens profond des mouvemens qui se produisent en dehors d’elle-même. La politique européenne popularise parfois le nom de certains pays en transportant ses antagonismes sur ces théâtres lointains ; elle ne les fait point connaître ; elle les travestit, au contraire, en s’obstinant à y poursuivre son propre reflet ; elle crée amsi des pays de fantaisie et d’imagination à l’usage de ses tribunes et de ses journaux si bien en fonds, comme on sait, de notions exactes et sûres, et elle a souvent aussi à expier ses entrainemens et ses illusions. Il y a, par malheur, plus d’un exemple de ceci : l’Egypte n’a-t-elle pas été un des mirages de votre politique ? Etes-vous bien sûrs de ne nourrir encore aucune illusion de cette espèce dans toutes ces questions sans solution qui vous arrivent parfois du fond de l’Amérique du Sud ? Le charme le plus vif d’une relation de voyage, c’est d’éviter la confusion prétentieuse de ces données générales ou artificielles de la politique, c’est que la réalité vivante et actuelle s’y manifeste sans effort, et qu’on puisse y retrouver un peuple dans son originalité caractéristique, dans l’intimité de son foyer domestique, de ses mœui-s et de ses usages. Le Journal d’un Voyage au Levant, en vous faisant pénétrer dans l’intérieur de la Grèce moderne ou de l’Égypte, en promenant votre pensée dans les campagnes de la Messénie et de l’Eubée, sur les bords du Nil ou dans les déserts de la Syrie, arrive parfois à cet intérêt qu’ont aisément les peintures où l’affectation laborieuse ne vient point effacer le trait primitif et la spontanéité des impressions. Mme de Gasparin raconte librement et familièrement ses excursions à Mégare, à Corinthe, à la plaine d’Abydos ou au Jourdain. Au milieu des descriptions pittoresques qui se succèdent ainsi et vous familiarisent avec quelques-unes des réalités originales de ces contrées, il pourra même vous arriver de rencontrer quelquefois des digressions brillantes, des pages empreintes d’une certaine verve d’observation humoristique qui n’est point sans charme.

C’était là pour l’auteur, sans nul doute, une voie heureuse ; c’étaient là des élémens naturels et suffisans d’intérêt. Par quelle fantaisie étrange Mme de Gasparin, qui a du moins ce mérite de ne point vouloir nous donner une solution nouvelle de la question d’Orient, et de ne point se croire tenue, d’un autre côté, de rivaliser avec un archéologue dissertant sur l’emplacement de Sparte on sur l’aiguille de Cléopâtre, est-elle allée se jeter contre un écueil bien autrement inattendu ? Par quel commandement d’en haut s’est-elle crue obligée de se faire l’émule d’un missionnaire, évangélisant à tout venant, convertissant tout ce qui peut s’offrir, moines, paysans grecs ou bédouins ? Bisogna s’empare il vangelo, poi leggerlo, poi darlo, poi metterlo nel cuore ! dit le compagnon de voyage de Mme de Gasparin à un pauvre religieux du Saint-Sépulcre, et, en vérité, cela pourrait bien servir d’épigraphe au livre tout entier. En parcourant le Journal d’un Voyage au Levant, vous sentez, à chaque instant, une saveur genevoise qui s’exhale en élans lyriques, en exaltations, en imprécations, entre deux peintures familières, entre deux descriptions pit-