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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/781

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mettaient au niveau des idées françaises, et une majorité noire, pour qui le despotisme était à la fois une aspiration instinctive et une transition nécessaire. Chaque élément tour à tour a eu peine à s’acclimater dans l’atmosphère politique de l’autre ; de là un malaise perpétuel, et parfois aussi la fièvre et le délire. Si la crise est aujourd’hui plus violente que jamais, tant mieux peut-être ; il n’y a que celles-là de décisives, et de nombreuses chances sont ici du côté du salut. Soulouque, en qui se sont accidentellement résumées toutes les réminiscences de la sauvagerie originaire, semble en effet conduit, moitié par la force des choses, moitié par ses propres instincts, à constituer sur ses véritables bases ce rudiment de nationalité.

Ces réserves faites, je me crois parfaitement à couvert de toute accusation d’engouement ou d’hostilité systématique. — Aujourd’hui d’ailleurs que le fond même du débat est radicalement tranché par l’émancipation, quel intérêt y aurait-il à rester partial ? Je prendrai donc les hommes et les faits tels qu’ils se présentent, en laissant chacun d’eux produire sa propre conclusion, et sans m’inquiéter de savoir s’ils donnent raison à la bienveillance, au rire ou à l’horreur.


I. – APERCU HISTORIQUE. – ORIGINE DES PARTIS HAÏTIENS. – LA POLITIQUE NOIRE ET LA POLITIQUE JAUNE.

La plupart des Haïtiens éclairés mettent une sorte de point d’honneur à dissimuler, tant à l’étranger que chez eux, l’antagonisme qui divise la caste sang-mêlée ou jaune et la caste noire. Je trouve beaucoup plus utile de rectifier le double malentendu d’où cet antagonisme est sorti : on ne détruit pas l’erreur en la niant. Si Haïti semble, à l’heure qu’il est, condamné à devenir la succursale du royaume de Juida, si chacun des deux élémens qui était civilisateur à sa façon s’y est souvent transformé en instrument de barbarie, c’est surtout parce que, de part et d’autre, on ne s’est pas expliqué à temps. Ceci ne sera pas une digression. L’historique sommaire des deux grands partis haïtiens est indispensable pour l’intelligence des intérêts et des passions, des espérances et des terreurs, qui s’agitent autour de cette majesté de chrysocale et d’ébène qui a nom Faustin Ier.

La querelle des deux castes ou du moins des ambitieux et des brouillons qui ont trouvé profit à les personnifier remonte à l’origine même de l’indépendance haïtienne. Chacune revendique pour elle seule l’initiative du travail d’affranchissement, et accuse l’autre d’avoir, dès le principe, pactisé avec l’oppression blanche. Toutes deux ont à la fois tort et raison. La vérité, c’est que l’élément jaune et l’élément noir ont également participé à l’œuvre commune, mais chacun à son heure, pour son propre compte, dans l’ordre et dans les limites que