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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/799

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orties pour se livrer plus à l’aise, au milieu de son camp, aux bruyans caprices de la danse et de l’orgie africaines. Christophe prit tout-à-fait son rôle au sérieux, et il le joua, pendant près de dix ans, avec une aisance, un aplomb, un esprit de suite qui faisaient honneur au génie imitateur de sa race. L’ancien garçon d’auberge se fit faire un sacre magnifique, et s’entoura de princes, de ducs, de marquis, de comtes, de barons, de chevaliers, de pages. Il eut un grand-maréchal du palais, un grand-maître des cérémonies, un grand-veneur, un grand-échanson, un grand-panetier, un chancelier et son chauffe-cire, un roi d’armes, des chambellans et des gouverneurs de châteaux ; il eut un ordre royal et militaire de Saint-Henri, des gardes haïtiennes, des gardes-du-corps et des chevau-légers, sans compter une compagnie de royal-bonbons. Les maisons militaires et civiles de la reine Marie-Louise, du prince royal, de la princesse Améthyste (Madame première) étaient à l’avenant. L’étiquette classique présidait aux grands et petits levers de leurs majestés noires : la poudre et l’épée y étaient de rigueur et le tabouret des duchesses y tenait à distance le pliant des simples comtesses. On a d’ailleurs beaucoup trop ri de cet innocent carnaval nègre. Chez ces pauvres ilotes africains, qui, pour faire acte d’égalité, ne trouvaient rien de mieux que d’emprunter à l’ancienne aristocratie blanche sa poudre et ses dentelles, il y avait peut-être des aspirations plus sincères de progrès social, de plus véritables instincts démocratiques, comme nous dirions aujourd’hui, que chez les avocats ouvriers et les médecins en blouse de nos lendemains de révolution. Il est vrai que tous nos prôneurs d’égalité n’ont pas montré une égale horreur des dentelles et de la poudre. Les splendeurs de Christophe n’avaient qu’un inconvénient : c’était de coûter fort cher à ses deux cent et quelques mille sujets, sans compter les 30 millions de francs, de petites économies qu’il trouva le secret d’accumuler en dix ou douze ans dans sa cassette particulière. Ce n’est pas une des moindres singularités de ce monde noir que la république y soit à meilleur compte que la monarchie.

Voilà donc la politique noire et la politique jaune réellement en présence cette fois. Les planteurs ne sont plus derrière la première, ni la France derrière la seconde. Chacune d’elles est désormais livrée à ses propres instincts, et chacune est dans son milieu de prédilection. Voyons-les à l’œuvre.

Christophe recommença la tyrannie de Toussaint. Comme saint Louis, le petit monarque noir se plaisait à rendre la justice sous un arbre ; mais il ne rendait que des arrêts de mort. La mort était à peu près l’article unique de son code : la paresse, la désobéissance, le moindre larcin, le moindre symptôme de mécontentement ou de tiédeur monarchique, rien n’y échappait ; mais, sous Christophe pas plus que