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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/803

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En somme, chacune des deux politiques avait sacrifié une moitié de sa tâche à l’accomplissement de l’autre moitié. Christophe, tout en comprimant la barbarie, refoulait l’élément civilisateur ; Pétion ouvrait au contraire une large porte à l’élément civilisateur et au progrès social, mais il y laissait passer la barbarie. Le premier avait assis sur son peuple broyé les fondemens d’une grande prospérité nationale ; le second faisait bon marché de la richesse nationale pour donner aux masses une liberté et un bien-être immédiats. Tandis que le tyran nègre enfin enlevait à la grande culture, qu’il avait si violemment organisée, les garanties de sécurité sans lesquelles elle tombe, le président mulâtre la désorganisait, tout en travaillant à créer ces garanties. La politique jaune avait cependant sur la politique noire un avantage incontestable : c’est de servir doublement la cause de l’indépendance, que celle-ci compromettait doublement.

En 1818, Pétion, miné par un profond découragement auquel étaient venus se joindre des chagrins domestiques, se laissa mourir, dit-on, de faim. Le général Boyer lui succéda et continua son œuvre. La seconde et la troisième année de son gouvernement furent signalées par deux événemens décisifs, la pacification de la Grande-Anse et la soumission du nord. À la suite d’une attaque d’apoplexie, Christophe était resté à demi paralysé, et, en voyant le tigre couché, son tremblant entourage n’avait pas hésité à lui courir sus. Une insurrection militaire éclate à Saint-Marc, puis au Cap. Christophe essaie de rendre une élasticité momentanée à ses membres en se faisant frictionner d’une mixture de rhum et de piment, mais c’est en vain. Rugissant d’impuissance, il se fait porter en litière au milieu de sa garde, la harangue, et lui donne ordre de marcher sur le Cap, dont il lui accorde le pillage. Celle-ci se met en marche avec toutes les démonstrations de l’enthousiasme nègre ; mais, rencontrant en route les insurgés, elle pensa qu’il était beaucoup plus court de revenir piller avec eux la résidence royale. Prévenant ce dernier outrage, Christophe se déchargea un pistolet dans le cœur. Deux généraux noirs, Richard, duc de Marmelade, et Paul Romain, prince de Limbé, comptaient bien, en conspirant, recueillir l’héritage de Christophe ; mais Boyer, à qui les insurgés de Saint-Marc avaient envoyé, en guise d’invitation, la tête d’un des chefs de Christophe, Boyer n’eut qu’à se présenter pour que tout le nord le reconnût. Pour comble de bonheur, la partie espagnole, où la classe de couleur était proportionnellement aussi nombreuse que la classe noire dans la partie française, fut amenée à imiter le nord, apportant ainsi à la minorité jaune un renfort qui allait compenser et bien au-delà celui qu’avait donné à la majorité noire la chute de Christophe et de Goman. Enfin, en 1825, un traité avec la France consacra définitivement l’indépendance d’Haïti. Une voie entièrement