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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/823

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eussent mis la main à un seul pavé, le militant écrivain venait à peine de s’emparer de la Bastille et de faire les 5 et 6 octobre ; il reprenait haleine, se préparant au 20 juin et au 10 aoûte : le 24 février remplit assez convenablement l’intervalle. L’action de l’éloquent professeur sur une portion du public, et particulièrement sur la jeunesse des écoles, ne saurait être contestée ; peu de livres pouvaient l’exercer avec plus de puissance ; dans aucun ne circule avec la même ardeur exaltée la fièvre révolutionnaire. M. Michelet, je ne trouve pas d’autre mot, a le culte de l’insurrection : vient-elle à passer, il se jette à la suite en chantant la Marseillaise sur le ton mystique. L’idée-mère du livre, c’est l’infaillibilité du peuple. L’historien véritable n’est que l’interprète, le mandataire du peuple, avec mandat impératif : le peuple dicte, il écrit ; le peuple le délègue, il le représente. Je le demande, est-ce autre chose que l’histoire mise en démocratie, installée dès 1847 en république ? N’est-ce pas le suffrage universel proclamé dans l’ordre de l’intelligence au moment où une révolution nouvelle allait le décréter dans la société ? M. Michelet, qu’il l’ignore ou le sache, a été par son livre la Cassandre du gouvernement provisoire. On peut lui accorder ici du moins sans injustice, ce rôle prophétique où il paraît se complaire.

On aurait fort à faire, et ce serait une tâche peu agréable, de prendre et de juger une à une toutes les publications dictées avant 1848 sur la révolution par l’esprit révolutionnaire. S’il suffisait de constater la nullité d’un écrit pour qu’il fût comme non avenu, si la niaiserie tournée d’une certaine façon n’était pas elle-même quelquefois un puissant moyen d’influence, je me garderais bien de nommer l’Histoire de la Révolution française par M. Cabet. Profondément inconnue du public, mais dévorée par les adeptes comme toutes les productions sorties de la plume privilégiée du grand communiste, cette élucubration sur l’époque qui a vu semer la bonne doctrine n’a pour effet un peu appréciable, entre les mains d’un lecteur non dépourvu absolument d’intelligence, que de lui apprendre à faire quelque cas du Voyage en Icarie, qui reste le chef-d’œuvre de l’auteur, on peut m’en croire. Il y aurait pourtant un grave oubli à ne pas rappeler ici une école aussi vieille que l’esprit révolutionnaire, celle des illuminés, des voyans. Plusieurs des historiens que nous venons de nommer se rattachent par quelque point de vue à cette école qui a produit sous la révolution Fauchet, Carra, Bonneville, et à laquelle semble appartenir par momens Marat lui-même. M. de Lamennais, dans les Paroles d’un Croyant, s’y rattacherait par le côté religieux, par l’imagination utopiste ; M. Michelet par l’enthousiasme expansif et lyrique, par son symbolisme perpétuel ; M. Buchez, par ce mélange de religiosité et d’études scientifiques qui me paraît être le caractère dominant de la secte, résumé