Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/903

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature même de nos facultés nous donne pour attribution le devoir de faire ce qu’avec nos facultés nous pouvons croire nécessaire, ce qu’elles-mêmes sont de nature à pouvoir accomplir.

Du premier au dernier, tous nous avons été coupables, car tous, par nos actes et nos paroles, nous avons contribué à propager et encourager certaines illusions qui sont bien certainement à la racine de l’apathie générale, et qui la légitiment, si elles n’en sont pas les seules causes. Ces illusions, il faut bien que j’en dise un mot pour résumer contre elles le témoignage des faits. Sont-ce bien des opinions arrêtées ? Je n’en sais rien ; mais c’est quelque chose qui équivaut à la conviction qu’une idée fausse est sans danger, par cela seul qu’elle est fausse. Notre manière de concevoir l’erreur, c’est de nous la représenter comme une opinion que nul ne saurait admettre, dont la nature propre est de repousser : d’où nous concluons tacitement qu’il faut laisser au bon sens public le soin d’en faire justice, et qu’au lieu de ferrailler contre elle, l’important est d’annoncer la vérité, dont le propre, suivant nous encore, est l’évidence. Partout je retrouve les mêmes erremens : les parens s’en rapportent au bon sens de leurs enfans, les réformateurs s’en rapportent à la conscience des masses ; s’indigner nous semble la preuve d’un petit esprit. Philosophe, dans notre langue, en est venu à signifier un homme qui ne s’offusque de rien, qui trouve tout également naturel ; le nom seul de la répression nous fait sourire. On estime fort sensé le rêveur qui croit à la violence la puissance de créer ce qui n’est pas : quant aux mesures de sévérité au moyen desquelles un gouvernement cherche à prévenir le mal qui est et qui peut être, elles indiquent seulement, à entendre nos prophètes, que les gouvernans sont au-dessous de leur tâche, qu’ils n’ont pas le talent de trouver la vraie solution du problème social. — La vraie solution de tous les problèmes, voilà, hélas ! ce que la France n’a pas cessé de chercher depuis qu’elle raisonne. Toujours elle s’est imaginé que c’était fait de l’univers, si elle ne découvrait pas à chaque instant ce qu’il lui fallait. À ses yeux, si le monde progresse, ce n’est point parce que les hommes et les faits dénoncent et déblaient ce qui ne doit pas être, afin de laisser arriver ce qu’il plait à Dieu de vouloir, de rendre possible et capable de se produire ; c’est uniquement et au contraire parce que les hommes conçoivent comment chaque chose doit se passer, et que Dieu s’empresse de rendre leurs combinaisons possibles et capables de produire les résultats qu’ils en attendent ; en d’autres termes, la volonté humaine est la puissance sans l’ordre ou la permission de laquelle rien n’a lieu dans ce monde. Telle est notre foi, et pour nous elle est si irrésistible, si générale, que l’action, la spéculation et la critique ont été chez nous trois fonctions complètement confondues. Sous trois noms différens,