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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/928

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confiant qu’Albert Dürer dans la protection de la justice, il se dispensa de formalités préalables, alla trouver Marc-Antoine et le tua sur le fait[1].

Certes, il faut convenir que, si les œuvres de Marc-Antoine imposent l’admiration, sa vie et sa mort sont bien loin d’inspirer le respect. Quelques peintres célèbres ont, abstraction faite de leur talent, laissé un nom aussi peu recommandable ; mais, parmi les graveurs de toutes les époques, il n’en est pas un qui ait à ce point déshonoré le sien si ce n’est cependant l’Anglais Ryland, condamné à mort et pendu, en 1783, pour avoir contrefait des billets de banque. Faussaire au commencement de sa carrière, fripon dans sa vieillesse, cupide et débauché toute sa vie (comme le prouve certain passage des Mémoires de Benvenuto Cellini, peu rigoriste, comme on sait, en pareille matière), Marc-Antoine est fait pour embarrasser les défenseurs d’une opinion nouvelle qui, en exagérant la mission des beaux-arts, transformerait les artistes en grands-prêtres initiateurs et leur biographie même en légende sacrée. Il trouverait difficilement sa place dans cette famille d’artistes illustres dont on proposait récemment de substituer l’histoire aux traditions chrétiennes[2] : bizarre histoire de saints, s’il venait à y figurer ; histoire incomplète cependant, s’il n’y figurait pas.

L’art de la gravure, si puissamment développé par Marc-Antoine,. faisait en même temps des progrès d’un autre genre, grace aux procédés employés par Ugo da Carpi pour obtenir des épreuves en camaïeu ; c’est-à-dire à deux, trois ou quatre tons, et offrant à peu près l’aspect de dessins au lavis ; procédés dont il n’était pas l’inventeur, qu’il avait seulement améliorés, et que devaient perfectionner encore Baldassare Peruzzi, Antonio da Trenta et Andrea Andreani. Une grande quantité de pièces exécutées de la sorte, d’après Raphaël et le parmesan, attestent l’habileté d’Ugo, qui malheureusement se mit en tête d’introduire dans la peinture des innovations plus radicales encore. Il eut l’étrange idée de peindre tout un tableau en se servant du doigt, sans recourir une fois au pinceau, et, l’acte lui paraissant méritoire, il en consacra le souvenir dans quelques mots écrits avec orgueil au bas de la toile ; ce qui fit dire à Michel-Ange, à qui l’on montrait ce tableau comme une singularité remarquable, que « la seule chose singulière dans un pareil tour de force était la sottise de l’auteur. » Qu’aurait pensé le grand homme du Génois Luca Cambiaso, dont le talent consistait à peindre des deux mains à la fois ?

La mort de Marc-Antoine n’entraîna pas la ruine de la gravure en

  1. Slalvasia, Felsina pittrice.
  2. La Foi nouvelle cherchée dans l’art, Paris, 1850.