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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/945

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appelle en français masculins et féminins, et qu’il appelle en accent aigu et en accent grave. Les vers masculins sont ceux en accent aigu, c’est-à-dire dont la dernière syllabe est sonore, et les vers féminins sont ceux en accent grave, c’est-à-dire dont la dernière syllabe est peu sensible. — Comme une chose pesante s’incline et baisse, dit-il, ainsi fait l’accent grave. — Cet accent grave ressemble beaucoup à notre e muet, mais il s’appliquait, en roman, à un plus grand nombre de voyelles qu’en français. Molinier distingue les voyelles en pleni-sonnanles et semi-sonnantes ; - a, e, o, n’ont, dit-il, souvent qu’un petit son, un son adouci, un demi-son. — Ce sont ces voyelles semi-sonnantes qui portent ce qu’il appelle l’accent grave ; on retrouve encore aujourd’hui dans le patois moderne, fils du roman, et dans les langues méridionales, comme l’espagnol et l’italien, ces voyelles semi-sonnantes qui ne sont plus représentées en français que par l’e muet.

Molinier remarque très bien que les vers en accent grave doivent avoir une syllabe de plus que les vers en accent aigu, parce que la dernière syllabe ne compte pas ; mais il paraît que la règle de la succession des vers masculins et des vers féminins n’était pas encore généralement admise de son temps, car il n’en parle pas. Cette lacune, qui est du reste la seule, a lieu d’étonner. Dans la plupart des poésies des troubadours antérieurs à Molinier, cette règle est observée. Nous allons bientôt la retrouver dans les poésies couronnées par les Jeux Floraux pendant les deux siècles suivans. Il faut qu’il y ait là quelque chose que nous ne comprenions pas bien.

La règle de l’hiatus a été donnée par Molinier avec des raffinemens. — Il ne faut pas, dit-il, mettre une voyelle devant une voyelle, non plus que la lettre m, dans deux mots qui se suivent. — Et plus bas : — Une diphthongue ne doit pas être placée immédiatement devant une voyelle, car cela produit un trop grand hiatus qui fait trop, ouvrir la bouche. — Voici le texte : Trop engendran gran hyat a si que fan trop la gola badar.

Quant à la rime, la poésie romane était d’une richesse que la poésie française n’a pas complètement reproduite. Molinier compte trois espèces de vers : les vers blancs qu’il appelle estropiés, estramps, les assonnans et les consonnans. L’assonnance se retrouve encore dans la poésie espagnole : c’est une rime imparfaite, qui consiste dans la reproduction des mêmes voyelles, quelles que soient les consonnes. La poésie française n’a pas adopté cette forme, qui a une grace particulière dans les anciens romances espagnols. La consonnance est la véritable rime. Molinier distingue dans les assonnances et les consonnances plusieurs subdivisions, qui montrent jusqu’à quel point l’oreille délicate des peuples romans avait analysé le son ; il introduit aussi une quatrième espèce de rimes appelées léonines ; mais cette nouvelle espèce de rime n’est que ce qu’on appelle aujourd’hui la rime riche, tandis que la consonnance proprement dite est la rime suffisante.

Les combinaisons de rimes n’étaient pas moins variées, chez les poètes romans, que les rimes elles-mêmes. Ainsi, pour parler d’abord de ce qui n’a pas passé dans la poésie française, ils avaient ce qu’ils appelaient des rimes disjointes, c’est-à-dire des couplets dont les vers ne rimaient pas entre eux, mais avec les vers correspondans du couplet suivant. On comprend combien il faut d’exercice pour sentir l’harmonie particulière de cette sorte de rime, qui ne se reproduit que tous les huit ou dix vers, suivant que le couplet est plus ou