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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/959

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La moralité d’un parti, c’est après tout cette ferme foi dans son avenir ; mais, avant d’entrer dans l’avenir, il faut traverser le présent ; il faut s’occuper d’asseoir les fondemens avant de songer à l’édifice, et, au milieu de notre société vacillante, il y a de l’ouvrage pour tous les partis honnêtes, il y a une tâche à laquelle ils peuvent tous se vouer ensemble : c’est d’affermir le sol qui tremble sous leurs pas. Voilà pourquoi le message a fait tant d’honneur au président : c’est qu’il demandait en toute sincérité qu’on se livrât désormais sans arrière-pensée à cette tâche laborieuse et salutaire. Quand le parti orléaniste écarte la proposition de M. Creton, c’est qu’il veut contribuer pour sa part, à rendre le pays au soin de ses plus pressans intérêts, c’est qu’il accepte franchement en vue du bien public la trêve du message ; ce n’est pas du tout qu’il pense à sacrifier ses affections, à renoncer pour son prétendant, s’il en avait un, aux avantages que tel autre prétendant ne pourrait se donner, à faire en quelque sorte de la fusion par renoncement. Toutes ces pensées n’ont pas besoin maintenant de prendre date avant 1852, et le tort de la proposition de M. Creton était au contraire d’avoir l’air de les précipiter.

Ce tort, qui n’était dans l’initiative individuelle de l’honorable représentant qu’un entraînement de cœur, a été affiché comme un système avec un éclat un peu bruyant dans la réunion légitimiste de la rue de Rivoli. Les différentes fractions de la droite parlementaire se seraient, dit-on, accordées là sur un terrain condamné pourtant par le manifeste de Wiesbaden. M. de Saint-Priest et M. Berryer auraient accepté, consacré par leurs applaudissemens chaleureux, des tendances très analogues à celles qui ont été anathématisées dans la fameuse bulle d’excommunication au bas de laquelle leurs noms étaient écrits La chose nous surprend assez pour que nous soyons tentés de ne point accueilli comme parole d’Évangile les rumeurs imprimées qui circulent sur cette séance. Nous ne voulons pas croire que la queue du parti finisse ainsi par entraîner la tête ; nous avons d’autant plus de répugnance à le supposer, que ces mêmes rumeurs prêtent à M. de Falloux un langage où nous reconnaissons difficilement la sûreté de son tact politique. « Les représentans de la droite, ne serait-il écrié, n’oublieront jamais qu’ils sont les fils du vote universel ! » M. de Falloux nous permettra de lui dire qu’il est de meilleure maison que cela, et s’il a réellement ajouté « qu’il fallait avoir en exécration la théorie du pays légal, qui est la perte du vrai et grand pays, » nous ne saurions lui dissimuler que cet emportement est pour nous, et pour tant d’autres faibles, une occasion de scandale dont sa conscience doit lui demander compte. La droite possède en effet un certain nombre de jeunes membres qui entendent l’ordre pour la France comme sa majesté Frédéric-Guillaume IV entendait la monarchie pour la Prusse : ils veulent à tout prix des institutions qui aient l’air antique, et pour en faire qui n’aient pas l’inconvénient d’être modernes, ils les affublent de vieilleries dont le dessus est parfaitement respectable ; mais dont le dessous est, sans qu’ils y songent, doublé du plus récent radicalisme.

Voyez plutôt ! Si M. de Falloux a dit par hasard qu’il exécrait-le pays légal, à qui donne-t-il la main de plus près qu’au citoyen Michel (de Bourges) ? Le mot n’eût-il pas été tout-à-fait à sa plage dans la protestation du tribun montagnard contre les élections du département du Nord ? Il y aura toujours un pays légal, parce qu’il est dans la nature de l’électorat d’être toujours une