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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/965

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Il s’en faut cependant que ces doctrines aient été jamais populaires, qu’elles aient pris racine sur le vrai terrain national. La loyalty britannique était choquée de voir des ministres du culte se dérober, autant qu’il était en eux, à la vassalité qui met le culte dans la mouvance de la couronne. Ces novateurs, occupés à restaurer une tradition dans une église où la tradition a été interrompue, argumentant de l’organisation indépendante du christianisme primitif pour secouer le fardeau de la tutelle royale sans consentir à reconnaître la suprématie du siège romain, ces novateurs plus ou moins obscurs et subtils semblèrent à tout bon Anglais pris dans le gros du public de véritables usurpateurs. Cette usurpation se marquait bien encore l’autre jour à son cachet particulier dans une réponse de l’évêque d’Exeter au clergé de Plymouth. Les honnêtes ecclésiastiques, en exprimant le chagrin avec lequel ils voyaient le pape attenter aux droits de la reine, n’avaient pas assez ménagé le droit originel et souverain auquel prétend, de son côté, le prélat puseyste. « Vous dites, leur écrit celui-ci, que sa majesté la reine est la seule source d’honneur et de dignité, et vous semblez penser que l’office et le titre d’évêque sont de ce genre d’honneur et de dignité qui émanent de la reine comme d’une source unique. J’estime, au contraire, que l’office d’évêque dérive uniquement de la même source céleste d’où procède aussi l’office sacré de sa majesté, et je ne puis le dégrader jusqu’à le rapporter à aucune source humaine, si haute soit-elle. » A quoi le sens populaire oppose tout de suite l’invincible objection : « Voici Henri d’Exeter qui se proclame évêque de droit divin et découronne au spirituel notre gracieuse et bien-aimée reine ! Il n’y a pourtant pas si long-temps qu’on a fait, en parlement, des évêques pour Manchester et pour Ripon : ces évêques-là viennent-ils donc du ciel ou d’un acte des communes ? »

Le puseysme s’est créé un autre tort vis-à-vis des masses, et leur a suggéré contre lui un grief encore plus sensible. Il adopte par système, et comme signe de ralliement, la plupart des cérémonies de la liturgie catholique, proscrites par la réforme, surtout en Angleterre, comme autant d’idolâtries. Les prêtres puseystes ont dressé dans leurs églises des autels romains avec des ornemens romains ; ils y ont allumé des cierges, attaché des images ; ils ont revêtu le surplis et corrigé le rituel anglican par les formules catholiques. Tous ces emblèmes extérieurs ont pris à leurs yeux plus d’importance que l’orthodoxie même ne leur en donne, et en réalité ils ont certainement aidé à multiplier les prosélytes. Ces raffinemens de doctrine, qui plaisent aux ames blasées dans les époques amorties, veillent être ainsi relevés et soutenus par des attaches matérielles. Il arrivait ainsi cependant que, tout en persistant à rester en dehors de Rome, les puseystes développaient dans l’anglicanisme tous les points par où il touchait le plus à la religion catholique. Leur amour de l’autorité les rapprochait inévitablement des doctrines ultramontaines ; leur prédilection pour les détails symboliques du culte tendait encore davantage à les confondre avec les romanistes. La pente était glissante ; il y en eut bon nombre qui allèrent jusqu’au bout, et parmi ceux-là le docteur Newman, l’un des plus distingués entre tous les membres de ce troupeau érudit et studieux, qui est maintenant tout-à-fait entré dans le giron de l’église catholique. Ainsi le puseysme, en grandissant à l’ombre de l’église anglicane qu’il s’était proposé de reconstituer sur des bases plus solides, arrivait lui-même à s’absorber dans le catholicisme.