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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/969

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Romance[1] - C’est un point à vérifier que celui de savoir si tout le talent du monde peut faire revivre un genre littéraire épuisé. Si pareil succès n’est point au-dessus des forces humaines, il serait fort à souhaiter que ce miracle s’accomplît au profit du roman historique. Vainement l’accuse-t-on de fausser des idées qui doivent rester précises, d’attenter à la majesté de l’histoire, de mal disposer l’esprit de la jeunesse à des enseignemens plus corrects, plus utiles, mais aussi plus arides et plus austères. — Tel n’est pas, selon moi, le résultat obtenu. Ceux qui ont appris l’histoire d’Écosse dans les romans de Walter Scott n’auraient pour la plupart jamais ouvert Robertson, et de ceux-là même qui avaient étudié les premiers volumes de David Hume, fort peu s’étaient fait une idée aussi nette de la conquête normande qu’ils l’eurent après avoir dévoré le premier volume d’Ivanhoé. Un savant historien, M. Augustin Thierry, étant d’ailleurs de cet avis, on peut se dispenser de le développer tout au long, et ce n’est point là le but que nous nous proposons en ce moment. Notre unique visée est de faire connaître en quelques mots un roman anonyme dont quelques organes de la critique anglaise ont déjà signalé le mérite. Sauf erreur, ce roman ne figure point au nombre des reproductions (soyons toujours polis) de la librairie anglo-parisienne, et par cette raison même il est plus essentiel d’en parler, puisque il est exposé à demeurer plus obscur.

Nous ne le donnerons certes pas pour un chef-d’œuvre. Les Aventures de l’Écossais Nigel, qui nous reportent précisément à la même époque, sans être, il s’en faut bien, un des meilleurs romans de Walter Scott, pour l’intérêt du récit comme pour la vérité des détails historiques, sont très supérieures à l’ouvrage de son successeur anonyme. Celui-ci, cependant, n’a péché ni par l’étude du temps, ni par celle des caractères. Son héros, ou, pour parler d’une façon moins ambitieuse, son principal personnage, est un gentilhomme qui, dépouillé de ses biens par un perfide ami, engage contre celui-ci une lutte presque désespérée. Sans une guinée vaillant, comment Oliver Newport peut-il espérer de faire triompher son droit, et, en attendant, de vivre, lui et sa fille Florence ? Il y parvient cependant au moyen d’un stratagème bien connu des romanciers et même des vaudevillistes modernes, c’est-à-dire en se donnant les dehors de l’avarice la plus sordide, et en laissant soupçonner qu’il possède des richesses considérables. C’est là ce Secret de l’Avare qui donne son titre au roman, et que nous révélons sans le moindre scrupule. Effectivement ce n’est pas à découvrir ce secret, percé à jour dès les premières pages, que le lecteur s’évertue, pour peu qu’il soit pourvu de quelque sagacité, mais bien à suivre les détails d’une intrigue assez compliquée : d’une part, entre le frère de Buckingham, sir John Villiers, et la fille du lord chief-justice, le savantissime Coke ; de l’autre, entre Florence Newport, la fille de Newport, et George Ellicombe, dernier rejeton d’une famille ruinée, mais ruinée sans le vouloir paraître. Jacques Ier et son solicitor general, le très célèbre sir Francis Bacon, ont aussi leur rôle dans ce petit drame, ainsi qu’un personnage fantastique, Rowlee Walletort, qui est à la fois bouffon de cour et agent secret de la police royale ; — au demeurant, et malgré la double honte de sa profession, le cœur le plus

  1. In three volumes, London, William Shobert publisher, 1850.