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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/97

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Beethoven une physionomie nouvelle : il en agrandit le cadre et en fait des tableaux où la fantaisie la plus vagabonde se combine avec le sanglot de la douleur et l’imprécation dramatique. Oui, le caractère distinctif de la musique instrumentale de Beethoven, c’est d’avoir été conçue sous l’influence d’un sentiment réel, dont elle trahit le secret et raconte les vicissitudes. Ce sont de véritables drames où la passion se développe au milieu de toutes les richesses de l’imagination, dont elle provoque le rayonnement ; on y trouve tous les accens, depuis le simple récitatif jusqu’à l’explosion pathétique du désespoir : Aussi chacune de ses œuvres se rapporte-t-elle à un épisode de sa vie, dont elle perpétue le souvenir. C’est ainsi, par exemple, que la Symphonie héroïque (la troisième), terminée en 1804, avait été conçue pour célébrer la gloire de Napoléon, en qui Beethoven avait cru voir, comme l’Europe, le génie de la liberté. La première idée de ce lugubre et magnifique poème lui avait été inspirée par le général Bernadotte, ambassadeur de la république française à la cour de Vienne. Le quatuor opera 12, dans lequel se trouve un adagio d’une mélodie si pénétrante, fut composé dans le printemps de l’année 1825, après une longue maladie que fit Beethoven, et dont il a consacré le souvenir par cette épigraphe : Canzone di ringraziamento in modo lidico, offerta alla Divinita da un guarito.

Au milieu de l’œuvre colossale de Beethoven, que dominent ses neuf symphonies, les sonates pour piano, au nombre de quarante-neuf, occupent une place à part ; elles sont à son génie ce que les lieder sont à celui de Goethe : l’expression d’un sentiment éprouvé, l’idéalisation d’un épisode de la vie. Ce sont des poèmes intimes qui ont tous une histoire, dont l’amour est toujours le sujet. Beethoven n’a pas cessé un seul instant d’avoir le cœur rempli par un objet aimable, et c’est parce qu’il craignait de rompre le cours de ses enchantemens qu’il n’a jamais voulu se marier. En cela, je l’approuve. Il ne faut pas que l’artiste, que le poète inspiré se laisse emprisonner dans les liens de la société civile : — qu’il vive, comme le prêtre, dans la solitude, dans la contemplation des choses saintes, et que son ame, dégagée de toute servitude, puisse prêter l’oreille aux bruits qui viennent d’en haut ! Plusieurs femmes distinguées, appartenant toutes à l’aristocratie, ont eu l’art de fixer l’attention de Beethoven, dont elles ont accueilli les hommages. Parmi ces femmes, on cite Mme la comtesse Marie Erdoedy, à qui il a dédié les deux admirables trios qui portent le chiffre d’opéra 70. Cette dame, qui habitait la Hongrie, avait fait construire au milieu de son parc un petit temple où personne n’avait le droit de pénétrer qu’elle, et qui était consacré au génie de son amant. Il est si vrai que la musique de Beethoven et particulièrement ses sonates pour le piano sont l’expression dramatique d’un sentiment éprouvé ; la peinture