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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1001

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C’était Aloïsius. Renvoyé par Marthe, le jeune régent n’avait pu se résoudre à partir ainsi et s’était caché dans la fénière, espérant de quelque heureux hasard l’occasion de revoir la jeune fille ; mais l’arrivée de la ronde de nuit l’avait alarmé, et il venait de se décider au départ, lorsqu’il avait été aperçu par Jacques et poursuivi par ceux qui le ramenaient. À sa vue, la Lise et Larroi accoururent en répétant : — Voila le bouteur de feu ! Il est pris. — Mais Aloïsius, qui ne pouvait comprendre les violences dont il était victime, continuait à se débattre parmi ses conducteurs en s’efforçant de s’expliquer en allemand. Pierre, qui reconnut l’accent maudit, fit un mouvement comme s’il eût entendu le sifflement d’une couleuvre.

— C’est un gueux des Allemagnes ! s’écria-t-il ; ah ! mort de ma vie ! quand je vous le disais, que tout le mal venait de cette engeance ! — Et, écartant les autres paysans, il se trouva en face du jeune régent que l’incendie éclairait en ce moment. Sa vue parut réveiller chez lui un souvenir.

— Attendez donc, poursuivit-il en faisant un pas vers Aloïsius et le forçant a relever la tête, je ne me trompe pas, c’est le vagabond qui m’a demandé ce soir, dans son langage de païen, la route des Morneux ; je lui ai dit de passer son chemin, et un quart d’heure après le feu était à mes foins.

Cette nouvelle preuve apportée a la charge d’Aloïsius ne laissait plus de place au doute ; il s’éleva un cri général d’indignation, tous les regards se fixèrent sur le prisonnier avec colère, tous les poings le menacèrent en même temps, toutes les voix réclamèrent un châtiment prompt et exemplaire. Les plus modérés demandaient qu’on lui liât les mains et qu’on le traînât chez le juge ; mais Larroi imposa silence à tout le monde : sa demi-ivresse, jointe à la perte qu’il venait de faire et à la vue « d’un brigand des Allemagnes, » avait achevé de le mettre hors de lui.

— Un juge ! à quoi bon ! répéta-t-il en saisissant Aloïsius, c’est inutile : le Bernois est jugé ! C’est lui qui a brûlé mes foins et le grenier de Jacques ; ça suffit : quand il y a un chien enragé dans le pays, on le tue. Gare, vous autres !

Et prenant son fusil qu’il avait armé, il l’appuya à la poitrine du jeune régent ; mais au même instant un cri terrible partit, une femme s’élança, et, traversant le groupe des paysans, vint tomber dans les bras d’Aloïsius : c’était Marthe, qui, attirée par le bruit, avait vu le danger du jeune homme et était arrivée à temps pour prévenir le coup qui le menaçait. Les paysans étonnés la regardèrent ; Larroi lui saisit le bras.

— Arrière, la Bernoise : cria-t-il en s’efforçant de l’écarter.

— Non ! répliqua Marthe les deux mains appuyées aux épaules