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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1014

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plutôt l’abîme qui sépare les conventions académiques des conventions archaïques, cela nous semblait un rêve, une chimère. Nous passâmes donc sous les toiles pour savoir à quoi nous en tenir, et à peine avions-nous levé la tête, que nos conjectures étaient vérifiées ; mais en même temps, il faut le dire, nous fûmes désarmé par une véritable surprise. Ces figures, nous parlons des plus grandes, nous parlons des apôtres et de ces anges qui gardent fièrement le trône du Seigneur, ces figures ne sont ni conçues ni exécutées dans le style qu’aurait commandé le système adopté dans la nef ; mais considérées à part, en elles-mêmes, comment n’en pas admirer le dessin vigoureux, le large caractère, la ferme exécution ? Dans cette partie de son œuvre, M. Picot s’est surpassé lui-même. Au rebours de tous les hommes, la force lui est venue au déclin de la vie. Son plafond de l’Hôtel-de-Ville aurait pu laisser croire qu’il n’avait même plus la vigueur du peintre de Psyché, et pas du tout, voilà dans cette abside des figures qui feraient honneur aux plus habiles et qui mettent au défi les plus dispos, les plus vaillans. Nous n’en dirions pas autant de tout le reste de l’hémicycle : la frise notamment laisse tant à désirer ! Entreprendre après Poussin d’exprimer les sept sacremens, et ne trouver que sept tableaux de genre, gracieux, coquets, aux contours ajustés, aux formes arrondies ; jeter ces tableaux clairsemés dans cette frise qui porte et soutient tout l’ensemble de la composition, et qui par conséquent devrait en être la partie la plus pleine et la plus solide, c’est donner à la critique trop beau jeu contre soi. Mais malgré ces fautes incontestables, nous n’en maintenons pas moins que dans ce grand travail il y a des parties qui révèlent chez l’auteur une puissance de talent qu’on ne lui connaissait pas. Il a le droit d’en être fier, et ses nombreux amis ne sauraient se réjouir trop haut de le voir ainsi reverdir.

Mais si pour M. Picot c’est un bonheur d’avoir fait ce travail, est-ce un bonheur pour le monument que M. Picot en ait été chargé ? De deux choses l’une : il fallait lui tout donner ou tout donner à son confrère. Comment n’avoir pas prévu l’inévitable disparate qui sortirait de cette association ? Était-il besoin que les échafauds et les toiles fussent à bas, que l’œil put pénétrer en même temps dans l’abside et dans la nef, pour avoir la certitude que deux talens si différens se nuiraient l’un à l’autre ? De qui donc est venue cette belle invention de les avoir unis ? A-t-on voulu faire un contraste, une antithèse ? ou bien s’est-on flatté de satisfaire un peu tous les goûts ? Si du moins de ces deux peintures l’une était franchement mauvaise, le remède serait aisé : on gratterait soit la nef, soit l’abside, et l’harmonie se rétablirait ; mais comme à très bon droit chacun a ses défenseurs, comme il y aurait vandalisme et barbarie à nous priver de M. Flandrin, comme on se révolterait avec raison qu’on effaçât M. Picot, il faut les respecter