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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/102

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Quelle que fût son origine, le peuple mexicain n’en offrait pas moins à l’arrivée des Espagnols un bien étrange spectacle : des villes, des armées immenses, un grand luxe, le goût des fêtes, de la magnificence, et parmi les marques d’une civilisation raffinée, des coutumes d’une incroyable barbarie, des cérémonies religieuses dans lesquelles le cœur des victimes humaines encore vivantes était arraché de leur sein[1] par des prêtres qui se faisaient des culottes avec la peau des femmes, — enfin l’anthropophagie. Ce dernier fait est prouvé[2] malgré les dénégations de quelques antiquaires mexicains qui, par haine pour les Espagnols, épousent parfois avec exagération la cause de leurs anciennes victimes. Bustamente, l’un d’entre eux, par exemple, chez qui la haine du gouvernement espagnol qui venait d’être renversé avivait une sympathie exaltée pour ceux qui, dans un autre temps, avaient été aussi opprimés par les Espagnols, après avoir parlé d’un arbre qui datait de Montezuma, qu’on avait eu l’impiété de couper, mais sur le tronc duquel avaient providentiellement poussé de nouveaux rameaux, Bustamente s’écriait : « Bien souvent j’ai visité cet arbre, et sous son ombre je me suis rempli du souvenir de Montezuma... Il me semblait voir l’ombre de ce monarque planer sur ma tête en déplorant l’ingratitude dont les Espagnols payèrent son hospitalité. J’entrais dans ses sentimens, je conversais avec lui, je versais des larmes, et, levant les yeux au ciel, je lui demandais justice contre une abominable agression. Franchissant l’espace de trois siècles de servitude, les voyant maintenant écoulés et la puissance espagnole disparue, je rentrais en moi-même, je comparais cette époque funeste avec la liberté dont nous jouissons aujourd’hui. En m’arrachant à ces émouvantes méditations, je ne pus m’empêcher de m’écrier, un peu consolé : Mânes de Montezuma, vous êtes vengés! »

M. Ramirez, dans de très intéressans appendices ajoutés à la traduction espagnole du livre de M. Prescott, se montre également en

  1. Voici la peinture que trace Herrera de ces affreux sacrifices; je laisse parler son traducteur, dont le français ne manque pas d’énergie : « Ils faisaient monter celui qui devait être sacrifié le long de l’escalier du temple, et, en le couchant sur la pierre, ils lui mettaient le collier en forme de couleuvre à la gorge. Quatre prêtres lui prenaient les pieds et les mains, puis le souverain prêtre lui ouvrait le sein et en arrachait le cœur avec la main, et, tout palpitant, il le montrait au soleil, auquel il offrait cette chaleur et cette vapeur qu’il exhalait; puis il se retournait vers l’idole et le lui jetait à la face, et aussitôt après, d’un coup de pied, il jetait le corps du haut en bas de l’escalier. » (3e décade, liv. II, chap. XVI.)
  2. On lit dans Herrera qu’après une victoire, l’armée des Tlascalans fit un souper avec cinquante mille poto de chair humaine. A Mexico, les marchands terminaient une fête annuelle de leur paisible corporation, fête qui était une sorte de carnaval, par un banquet du même genre.