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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1046

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qui imaginons cette analogie, a fait un peu comme l’empereur de Russie avec les principautés danubiennes : il s’est nanti d’un gage matériel en attendant les satisfactions morales qu’il réclamait. L’acte en lui-même sans doute n’était point fait pour apaiser la querelle, — pas plus en Amérique qu’en Europe. Aussi la guerre, déjà imminente, n’a-t-elle fait que se dessiner davantage, lorsque enfin le Chili vient d’interposer ou d’offrir sa médiation.

C’est sur ces entrefaites qu’un incident imprévu se produisait à Lima. Un homme d’une position élevée et d’une fortune considérable, jouissant d’une certaine popularité, ayant marqué d’ailleurs dans la politique de son pays, M. Angel Elias, adressait publiquement au président, au général Échenique, une lettre où il montrait sous le jour le plus triste la situation financière du Pérou. Il faisait sentir ce qu’il y avait de précaire dans une situation qui ne reposait que sur une ressource unique, celle du guano, — ressource elle-même destinée à tarir dans un temps donné. Le Pérou vient de procéder à la consolidation de sa dette intérieure, composée de tous les arriérés de la guerre de l’indépendance. M. Elias montrait, comme résultat de la manière dont s’était faite cette liquidation, une dette énorme qu’il portait à 4 ou 500 millions de francs. Il voyait, en un mot, dans cette opération une victoire de l’agiotage, qui était parvenu à s’emparer des titres plus ou moins valables des premiers intéressés. Il y avait sans doute de l’exagération dans la lettre de M. Elias. Peut-être aussi les vérités qui s’y mêlaient étaient-elles de celles qui se disent plutôt dans un conseil, surtout au moment d’une guerre. Quoi qu’il en soit, le gouvernement a répondu en faisant emprisonner l’auteur de la lettre. Ce n’est pas que le gouvernement péruvien tint beaucoup à son prisonnier. La réalité est que M. Elias a pu s’échapper et se réfugier chez le chargé d’affaires de France. Celui-ci n’a même nullement déguisé la vérité au gouvernement, pas plus que son désir de faire embarquer le prisonnier évadé. M. Elias s’est donc embarqué, mais le gouvernement péruvien l’a fait suivre par un bâtiment de l’état jusqu’à Panama, pour s’assurer qu’il ne tenterait point de rentrer dans le pays, — et, ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’au moment où s’embarquait M. Elias, il y a eu une sorte d’émotion populaire, un commencement d’émeute pour le proclamer président. La meilleure explication de tous ces faits peut-être, c’est que l’époque de l’élection présidentielle va revenir, et que tous les partis comme tous les candidats se préparent à la lutte.

S’il en est ainsi sur les côtes de l’Océan Pacifique, les choses sont dans un état bien plus triste encore à l’extrémité opposée de l’Amérique, sur les rives de la Plata, à Buenos-Ayres et à Montevideo même. Quant à la République Argentine, on ne sait plus aujourd’hui où est le pouvoir, quelle espèce d’organisation a survécu aux révolutions récentes. Buenos-Ayres s’est fait une complète indépendance ; mais le général Urquiza ne parait pas moins rester avec l’appui des autres provinces et du congrès, toujours réuni à Santa-Fé. Des deux côtés c’est une égale impuissance. Urquiza vient de signer avec les agens de la France et de l’Angleterre des traités de commerce et de navigation ; mais ces traités n’ont pas été reconnus par Buenos-Ayres. Les Américains ont inventé un mot pour désigner cet état de désorganisation complète : c’est l’état acéphale. La République Argentine jouit merveilleusement de l’acéphalie. Malheureusement pour elle, la République Orientale, qui avait eu un peu de