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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1066

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il s’empressera de m’offrir alliance et amitié. » Il y a ici plusieurs idées importantes sur lesquelles il faut nous arrêter. Le nœud non-seulement du drame, mais d’une pensée historique qui se retrouve partout dans Eschyle, est dans cette transaction, dans cette alliance prévue entre Prométhée et Jupiter, entre l’Égypte et la Grèce ; disons-le tout de suite, entre la liberté critique et l’organisation religieuse.

Et d’abord cette espérance d’un rédempteur n’est pas une invention poétique ; elle a une valeur historique générale fondée sur les faits et sur les instincts de l’homme. C’est un phénomène commun des mécontentemens populaires, mais qui, dans certains états de la société où l’imagination est puissante, prend des proportions les grandes et devient une prophétie nationale. Le genre humain ne croit pas aux lois fatales qui feraient de la société un mécanisme roulant de lui-même ; il croit au contraire à la puissance des individus doués de dons particuliers de la Providence et qui arrivent en leur temps. Je ne sais quelle ville d’Étrurie se laissa détruire par les Romains sous cette espérance, opiniâtre jusqu’à la dernière heure, d’un libérateur promis par les oracles. Les Gallois, refoulés par les Anglo-Saxons, attendirent pendant des siècles la résurrection du roi Arthur. Les paysans du Rhin espérèrent longtemps aussi le réveil de Frédéric Barberousse, endormi dans la caverne en attendant son heure. Nous avons vu, de nos jours même, les paysans de nos campagnes refuser longtemps de croire à la mort du grand trépassé de Sainte-Hélène et prédire encore son retour. Des esprits plus positifs, des praticiens de la politique, n’échappent pas à cet instinct qui cherche à se soulager par la prophétie. Avec quelle éloquence Machiavel, sortant tout à coup de ses considérations techniques, tire des misères mêmes de son pays un motif d’espérance, par l’attente d’un homme prédestiné au salut public ! « De même, dit-il, qu’il était nécessaire, pour faire éclater la vertu de Moïse, que le peuple d’Israël fût esclave en Égypte, et pour manifester la grandeur et le courage de Cyrus que les Perses fussent opprimés par les Mèdes, et pour illustrer le génie de Thésée que les Athéniens fussent dispersés dans l’Attique, de même aujourd’hui, pour mettre en lumière la vertu d’une âme italienne, il était nécessaire que l’Italie fût amenée à sa situation présente, qu’elle fût plus esclave que les Hébreux, plus subjuguée que les Perses, plus dispersée que les Athéniens, sans chef, sans gouvernement, battue, dépouillée, déchirée, foulée, et qu’elle eût subi toutes sortes de dévastations… Restée comme sans vie, elle est dans l’attente de celui qui guérira ses blessures et cicatrisera ses plaies, depuis longtemps gangrenées. On la voit prier Dieu de lui envoyer quelqu’un qui la rachète (che la redima) de la cruauté et de