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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1124

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— Ah ! fit Thécla, M. d’Escaïeul trouve, en un mot, que ma peinture fait rire et que ma poésie fait bâiller ? — Et, pour parler connue Virgile, elle sentit au plus profond de son cœur l’injure de la forme méprisée. Elle jura une haine de Junon à ce pauvre Valentin.

Je suis bien convaincu que cet honnête garçon n’avait alors proféré rien de semblable aux paroles que lui prêtait Ben-Afroun. Depuis, un long séjour en Afrique m’a appris qu’un des procédés habituels à la fourberie arabe est l’invention d’un propos injurieux qu’on livre comme une confidence à celui qu’il doit offenser. La ruse même dont il s’agit, malgré ce qu’elle a de singulièrement civilisé, ne peut étonner quiconque a vécu sous ces tentes où l’on trouve souvent une finesse à déjouer tous les diplomates européens.

Ben-Afroun avait voulu aussi essayer sa puissance contre Mendoce ; mais je crois que cette âme silencieuse, où il sentait le feu d’un sombre courroux, l’effrayait un peu. Plus d’une fois, devant la duchesse, il joua un rôle qui dut le blesser vivement dans sa vanité guerrière. Mendoce, quand il avait le bonheur de le prendre en flagrant délit d’épopée fabuleuse, le traitait d’Espagnol à Maure. Il le pourchassait impitoyablement dans le pays du mensonge jusqu’à ce qu’il l’eût ramené, l’épée dans les reins, au sentier de la vérité. Malheureusement ces victoires du chrétien sur le musulman étaient des triomphes stériles. Ben-Afroun, lorsqu’il était seul avec Thécla, réparait tous les échecs que lui avait fait essuyer son rival. Il avait pour lui d’abord la puissance de la nouveauté, et puis une force plus durable, celle de la flatterie, de cette flatterie africaine, épicée comme la cuisine d’un bach-aga, qui seule pouvait convenir dès lors au palais blasé de lady Glenworth.

Il arriva donc que cet odieux Bédouin devint peu à peu pour Thécla le Corsaire, le Dernier des Abencerrages, que sais-je ? l’homme poétique par excellence. La duchesse écrasait avec son sauvage tous les honnêtes gens de sa société. — Je ne puis me lasser, disait-elle, de contempler ces vêtemens flottans qui sont une évocation des âges bibliques. Quelle majesté, quelle noblesse dans ce costume ! Vous autres, avec vos habits étriqués, vous ressemblez à des êtres condamnés par un mauvais génie à vivre sous des formes grotesques.

Olivier prenait plaisamment ces gracieusetés, qui faisaient pâlir Mendoce de colère. — Ma chère duchesse, lui disait-il, je ne me présenterai plus chez vous qu’en Bajazet, en Malek-Adel, en Orosmane ; je laisserai mon babil à votre porte, et j’entrerai dans votre salon en robe de chambre, car figurez-vous qu’au coin de mon feu je suis vêtu encore plus splendidement que Ben-Afroun. — Elle répondait à ces folies par un regard plein d’une ironie olympienne et par cette phrase,